Hanafuda

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Avril au Japon

avec Hilde et Lou

Les lundis poésies de Claude – Kaneko MisuzuMatsuo Basho, Haïku

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Composer des haïkus est un petit plaisir que je partage avec Asphodèle. Lorsque je commence à compter les mores, une douce musique me renvoie à elle. Poésie à trois vers, elle évoque les saisons, et la glycine est l’image d’avril dans le jeu de cartes hanafuda, une représentation florale des douze mois de l’année ; la glycine, un petit coucou et un croissant de lune… 5, 7, 5…

Inflorescences,
Wisteria floribunda,
Avril, jeu des fleurs

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glycineavril

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Le retour des Plumes pour débuter les vacances…


Avec une guirlande de mots imposés, il fut un temps où je passais des jours d’été à écrire les Plumes d’Asphodèle. Pour l’anniversaire des Plumes, pour faire un petit coucou à Aspho, Mind nous a recontactés et nous a conviés à reprendre l’exercice.

Fidèles au rendez-vous, Mind, Valentyne, Soène, Lydia, Aliénor, Laure, Émilie, Pathcath, Pativore, Antiblues, Martine27, Célestine, Laurence, Sharon et même Asphodèle, ont répondu « présent ! »…

Des mots, une histoire, « Récit décousus d’un naufragé du temps », j’ai repris celle que j’avais abandonnée pour lui donner une courte suite.

Aidés d’un groupe de mercenaires, un historien doit accomplir une mission dans un autre temps… (voir la page)

 

Chapitre VIII

Les mots : Aquarelle, voyelle, mirabelle, maternelle, stèle, éternel, bretelles, ribambelle, infidèle, dentelle, cannelle, passerelle, balancelle, ritournelle

Dans ma chambre, appuyé contre le chambranle de la fenêtre aux persiennes à moitié fermées, je regarde la rue pavée. Les sons montent et offrent une cacophonie mal orchestrée… le bruit des attelages, des sabots des chevaux, les cris des camelots, la ritournelle d’un jeune ouvrier qui monte un étal devant l’échoppe d’un boulanger, pour la belle infidèle qui lui apporte une brioche sortie du four, et toute une ribambelle d’enfants qui se courent après, c’est un matin déjà bouillonnant et fiévreux.
Je viens de terminer le rapport de la journée d’hier en revivant l’instant où j’ai appris à Alex les fourberies de Jouve et de Chaïd. Les deux traîtres avaient convenu de nous subtiliser le joyau avant de regagner le bateau, mais la garde du khalifat lancée à nos trousses les avait attrapés et tués. Cachés chez un ami de Cortes, nous n’avions pu les enterrer que deux semaines après, alors que leurs corps suspendus étaient comme de la dentelle, avec sa trame fragile et ajourée. Une nuit, j’avais laissé le soin à mes amis de décrocher les corps et de creuser une sépulture. Un repos éternel sans stèle, anonyme, loin de leur terre maternelle.
A ce jour, je ne sais toujours rien de leur complicité, et un millier de questions viennent me tarauder l’esprit. Je ressors de ma poche un billet écrit par Jouve que j’avais retrouvé dans les affaires de Chaïd. Un texte sans voyelle, impossible à lire, impossible à déchiffrer. Ce morceau de papier attestait du caractère réfléchi de leur mission et je comptais bien en savoir un peu plus…
Un doux ronron vient me sortir de ma torpeur. C’est la chatte d’Alex, Mirabelle, qui le précède toujours en annonçant la venue de son maître. Je m’empresse donc de m’habiller et j’en suis à remonter mes bretelles quand Alex pousse la porte.
– Tu as bien dormi ?
Je découvre mon ami bien mieux que la veille et j’en suis ravi. Notre soirée passée à nous rappeler des jours heureux lui a fait le plus grand bien.
– Oui, j’ai dormi comme un loir ! Et ça ne fait qu’une petite heure que je suis réveillé. Je mets ma veste et je te suis…
– Ne te presse pas, nous avons toute la matinée. J’ai transmis ton journal et le diamant à un agent qui a pris une passerelle spatio-temporelle, à l’aube. J’espère que Martins les recevra dans les temps.
– Tu as un peu cogité sur la trahison de Jouve ? Crois-tu qu’il était seul aux commandes ? C’est quand même incroyable !
– Je n’en sais fichtre rien ! Jouve était certainement un pion. Son intelligence n’était pas très brillante !
– Que faisons-nous ce matin ? Je dois retrouver Conrad et Cortes cet après-midi.
Alex rit et me fait signe de le suivre.
Dans le labyrinthe du palais, nous passons de salle en salle pour arriver dans son bureau. En barrant sa bouche de son index pour me dire de me taire, il me fait approcher d’une fenêtre ouverte et m’invite à voir la vue qui surplombe un jardin. Le tableau est beau, on dirait une aquarelle. Les frondaisons fleuries aux douces teintes sont le décor d’une scène amoureuse. Sur une balancelle, deux silhouettes enlacées sont en murmures et en baisers. Une jeune femme à la peau cannelle, ploie sous le corps d’un amant.
Ne pouvant retenir un rire franc qui les dérange, le ténébreux Cortes lève la tête et me fait un clin d’œil.
De notre mission, nous avions ramené les deux plus beaux joyaux de la cité de Meknès ; le Diamant du Nil et la sœur du sultan, la belle Jasmina.

 

9 Jean Francois Portaels, Beauté orientale

 

 

Soie et vent


Un mois au Japon en compagnie de
Lou et Hilde
Un jeudi haïkus avec Kiona,

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Soie et vent

Kimono au vent
mêle pivoine et dragon
dans un pas de deux.

Tourbillon de soie,
oriflamme tourmentée,
l’assaut est mené.

Les gémissements,
que des froufrous murmurés,
content leurs plaisirs.

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La mûre et l’enfant


Les haïkus avec Asphodèle

Un mois au Japon en compagnie de
Lou et Hilde

D’autres participants… Carnets Paresseux, Jacou, Val, Modrone, Eléonore, EmilieBerd, Soène, Asphodèle, Célestine, Claudia, Kiona,

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Ronces fruitières
aux aiguillons acérés
font perler le sang.

Le fruit s’enivre
des sucs de la jeunette ;
délicieuse enfant.

Elle ne pleure pas,
elle est peut-être sorcière.
Même !… papillon.

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Estampe de Kubo Shunman

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Violettes de cœur

Un mois au Japon en compagnie de Lou et Hilde
Haïkus du jeudi

D’autres vers chez Kiona,

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Violettes de cœur
sont pensées à ma mère :
Hymne à l’amour

Violettes de cœur
sont pensées à la sienne :
Ne pas m’oublier

Violettes de cœur,
sont pensées d’éternité :
Elles et moi… toujours.

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Estampe de CHIKANOBU Toyohara

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Haïkus du printemps

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Asphodèle a instauré un nouveau rendez-vous pour ses jeudis-poésies.
Une fois par mois, nous nous essaierons aux haïkus
en respectant la règle syllabique 5-7-5.

Les participants… Asphodèle Soène – ClaudiaLucia – Monesille – CarnetParesseux – Modrone – Lilousoleil Assoula –  Pativore –  Et des poèmes : Martine – Emilieberd – Jacou –

 

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.L’oiseau chuchote
dans les allées fruitières
des baisers riants

Et le vent d’hiver
fait tomber les pétales
des premières fleurs

L’envol du rônin
s’enfuit à la recherche
des lèvres rosées

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Une photo, une histoire.

Sur une photo, Leiloona nous propose d’écrire un texte.

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femme

Je m’appelle Cadie. Cadie parce que je suis née dans une vieille Cadillac noire démembrée, abandonnée dans une remise du village. Ma mère, comme tous les enfants, aimait s’installer au volant pour faire semblant. Chacun avait droit à cinq minutes.
A l’âge de quatorze ans, bien que mariée et grosse de son premier enfant, elle aimait toujours s’évader par la pensée, assise sur le cuir éclaté et brûlant. Et c’est en rêvant d’un ailleurs que les premières eaux ont dégouliné le long de ses jambes jusqu’aux pédales, que les contractions lui ont vrillé le ventre et que je suis arrivée. Elle a eu juste le temps d’aller à l’arrière pour me réceptionner.
Je m’appelle Cadie et j’ai trente cinq ans. J’ai quitté le Rwanda en 1994, cela fait vingt ans.
Mes parents avaient une ferme et quelques vaches. Nous n’étions pas pauvres, mon père avait été plusieurs fois sollicité pour représenter le village. Mais il était plus sage qu’ambitieux. Son plaisir était de conter des légendes ; il le faisait fort bien. C’était un prince conteur qui nous régalait de mille et une histoires. Au village, lorsque nous recevions d’importantes autorités, on le priait toujours de venir. Il revêtait alors ses habits d’apparats aux couleurs éclatantes et s’imbibait d’une sorte d’aura magique, l’habit d’un sorcier. Je me souviens encore de cette fierté qui me faisait frissonner.
Un jour, nous avons eu l’honneur d’accueillir une délégation de Hutus, des gens de Kigali. A la fin du repas, mon père s’est positionné au centre et les a hypnotisés par ses mots. Il m’avait demandé laquelle de ses chroniques il allait leur livrer et j’avais bien voulu leur offrir ma préférée. Celle qui raconte les grands lacs et les collines de mon pays, deux enfants qui découvrent une source, un trésor et un monstre à tête de crocodile pour le garder. Oui, ils avait été subjugués. Le plus jeune de cette ambassade s’était incliné bien bas pour saluer mon père et ils étaient partis sans autre forme de politesse ; une grosse vexation pour notre chef !
Nous étions un jour de janvier et l’année s’annonçait pour moi la meilleure. Notre plus proche voisin était venu la veille pour parler de mes épousailles avec son fils Caleb. Je pensais alors que mon destin était ficelé. J’aimais bien Caleb, mais pas d’amour. Fille unique, je n’aurais rien dit, j’aurais accepté, mais mes parents souhaitaient pour moi un autre avenir. J’étais en âge de partir et ils voulaient que j’intègre une école privée qui m’enseignerait le secrétariat et la comptabilité. En ce début d’année, ils me faisaient un magnifique cadeau.
Je me préparais donc pour la grande ville quand les événements se sont bousculés. Les actualités n’étaient pas bonnes et inquiétaient tout le monde. Mon père et ma mère avaient dû s’absenter pour l’enterrement d’un grand oncle et en ce mois d’avril pluvieux, je me suis retrouvée seule à la ferme ce fameux jour.
J’entendais des tirs, je sentais la menace arriver, mes oreilles étaient pleines de cris des maisons voisines, j’imaginais le pire, l’enfer. Je n’avais qu’une cachette minuscule où me terrer et je m’y suis mise ; un réduit ménager, derrière deux bonbonnes de gaz. L’attente n’a pas été longue. J’ai vu à travers la persienne l’ombre du monstre qui allait me dévorer et je n’avais point de crocodile pour me défendre, seulement un opinel que j’avais saisi avant de me tapir. L’ombre avait des bottes et criait des ordres que je n’arrivais pas à comprendre tellement que mon cœur bourdonnait dans ma tête.
Ai-je eu un malaise ? Je ne me rappelle de rien, sauf de la brûlure sur la joue et des yeux fous de mon assassin. Je percevais un liquide chaud qui coulait le long de mon cou, je le voyais me hurler des choses et brandir son couteau. Mes pieds effleuraient la surface du sol, il me serrait le col du chemisier et je commençais à voir des arabesques se former. Elles étaient belles, venues d’un espace divin. J’ai pensé à mes parents, à cette école qui ne me verrait jamais, aux contes et aux grandes profondeurs qui abritaient des trésors. J’ai même eu une pensée pour Caleb, mon compagnon de jeux. Peut-on songer à tout ça en une seconde ? J’étais prête.
Je me suis réveillée dans un dispensaire, paralysée sur un côté du visage. Il paraît que j’ai été sauvée par un Hutu. C’est Caleb qui l’a vu et reconnu. Il a poignardé son compagnon de crime pour me délivrer ; c’était le jeune homme qui avait été tant impressionné par mon père quelques mois auparavant. Avant de me laisser dans les bras de Caleb, épargné lui aussi, il aurait dit que c’était grâce au Père Conteur.
A la prochaine station, je descendrai. Ma maison est à quinze minutes du métro. J’aurais encore le temps d’arranger mon histoire. Je me suis décidée à la raconter aux enfants, les miens et mes neveux. Cette cicatrice les intrigue.
Il faut juste que j’arrive à retrouver le ton qu’employait mon père… et je commencerai par : Je m’appelle Cadie, j’ai trente quatre ans, je suis Rwandaise et j’habite en France.
Caleb ajoutera les précisions.

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D’autres récits chez Leiloona, Stéphie, Cécile, Sabine, Stéphanie, La plume dilettante, Jean-Charles, Sara,

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Récits décousus d’un naufragé du temps – Chapitre VII

logo-plumes2Les Plumes d’Asphodèle
Exercice, jeu, écriture pour l’été ; dernières de la saison
Participation occasionnelle !
et suite des aventures des récits décousus d’un naufragé du temps

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Mots imposés :
Gens, survivre, univers, découverte, terre, partage, bonheur, macrocéphale, cultures, tour, astral, grandeur, mer, extraterrestre, envahisseur, animal, mappemonde,  journal, pluriel, couleur, parallèle, fin, guerre et nymphe, néant, négliger.

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carte corse
Ajaccio, août 1453,

Je m’aperçois que j’ai adopté la démarche d’un vrai matelot ! Je tangue sur terre.
Il fait très chaud. Je ne supporte plus l’habit, le tissu gratte.
Dans le couloir exigu et sans fin, je suis un domestique dont la livrée arbore les couleurs rutilantes de la ville ; azur, argent et or. De couloirs en pièces, nous traversons une cour pavée d’une superbe mosaïque qu’animent les borborygmes d’une fontaine ; une nymphe en marbre verse son amphore dans le bassin.
– Signore… volete aspettare qui ?
– Grazie.
Pour la énième fois, je tâte mon pourpoint. Sur le côté, dans une poche intérieure, j’ai le diamant et une liasse de feuilles. J’ai hâte de m’en séparer. Mon regard erre dans la pièce. C’est un bureau avec de hautes fenêtres étroites qui disparaissent derrière de riches tentures. Comme dans les autres pièces du palais, le luxe impose. Je me dirige vers une mappemonde qui me stupéfie. Il me semble que l’objet ne doit apparaître que cinquante ans plus tard. Le globe est un monde décoré d’univers fantasques avec des mers peuplées d’étranges créatures extraterrestres. Des cachalots macrocéphales tenus par des sirènes chevauchent des flots. Le bois est précieux et s’orne de quelques incrustations nacrées et dorées. Ce genre de découverte me réjouit. Curieux, je poursuis mon exploration vers les bibliothèques, ne voulant rien négliger de ses raretés. Une collection d’animaux en ivoire s’étale en procession sur une étagère. Sur une autre, des émaux racontent le chemin de croix du Christ. Les miniatures sont admirables par leur précision et leurs teintes. Je vais vers des enluminures et une carte encadrée qui représente les voies astrales,  lorsque la porte s’ouvre.
– Pierre !
– Alex.
Il m’est difficile de reconnaître en cet homme, mon ami d’enfance. La distance qui nous sépare disparaît en une étreinte chaleureuse.
Je le détaille… il a le visage plus émacié, un regard noir et une petite cicatrice sur la tempe. La dernière fois que nous nous étions vus, c’était il y a cinq ans. Il avait eu une permission de trois mois, hors des mondes parallèles qu’il fréquentait depuis son enrôlement. Je l’avais rejoint dans son château en Bretagne et nous avions longuement parlé de la grandeur du siècle qu’il venait de quitter, des guerres qu’il avait menées à bord de L’Envahisseur, le bateau amiral, et de ses conquêtes féminines.
– Amiral Alexandre de Floris… c’est un bonheur de te voir ! Cette chemise à soufflets te va bien ! Je ne suis pas aussi élégante que toi…
Un sourire s’esquisse sur ses lèvres et d’une chiquenaude, fait tomber ma coiffe en feutrine.
– Pierre, tu m’as manqué ! Moi aussi, je suis enchanté de te voir. Viens t’asseoir…
Alors qu’il se recule et se dirige vers un fauteuil, je remarque sa claudication et son dos voûté. L’ami, que t’est-il arrivé ? Ta voix paraît hésitante et tes yeux renvoient un néant.
– Tu es bien logé ! Le cadre est magnifique et tu as à ta disposition des trésors. A qui appartient le palais ? Les ancêtres de Napoléon ? de Tino Rossi ?
– Ah ! quel historien tu fais ! Nous sommes bien éloignés de tes références, n’est-ce pas ?
Non, le château appartient à l’Office de Saint-George. Ils ont des finances inépuisables !
Nous parlons de reconstruire la ville ailleurs, avec une forteresse et des tours sur la côte. Je vais les aider. Tu sais que ma première passion est l’architecture !
– Et vois-tu toujours la belle espagnole ? Comment elle s’appelle déjà… Maria, Isabella, Anunziata ?
– Pierre, tu es resté romantique ! L’amour, je le définis au pluriel !
– Tu fais des heureuses ! Et Sigismond, ton secrétaire ? Tu partages toujours avec lui tes mémoires en plus des faveurs de ces dames ?
– Il est mort.
– Je suis navré.
Le silence envahit la pièce, donnant à l’atmosphère une lourdeur palpable. Sigismond avait été recruté au XVIIIème siècle. Il avait le raffinement précieux de son époque et l’esprit des Lumières. J’avais beaucoup aimé converser avec lui et je savais qu’Alex était fortement atteint par le décès.
– Que s’est-il passé ?
– Je ne veux pas en parler Pierre. S’il te plaît.
Alex se perd dans le verre qu’il se sert. Il ouvre plusieurs fois la bouche mais aucune parole n’en franchit le seuil. C’est la première fois que je le vois si désemparé. Le temps des confidences viendra plus tard… peut-être ce soir lors d’une partie d’échecs. J’avais trois jours à lui consacrer.
– … Raconte-moi ce mois passé sur le Bysance ! Tu t’habitues à tes gens ? Et Jouve ?
Je prends le verre de vin qu’il me tend et je m’écroule dans un fauteuil capitonné. Je ne sais pas comment aborder mon récit. Jouve… je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. Les nerfs craquent et je m’effondre à mon tour dans un silence abyssal.
Alex lève un sourcil et tord la bouche. La vie de ses sourcils m’a toujours épaté.
– Donc, Jouve ?
– Jouve !
– Oui !… Marcel Jouve ! Assistant de Martins, celui à qui tu devais remettre ton journal et la pierre du Nil.
– Ouais… ben, il est avec Chaid, le capitaine du bateau.
– Et ?
– Et… et… ils sont tous deux dans une orangeraie près de Meknès.
– Ils se lancent dans les cultures ?
– Vu ainsi, c’est vrai que l’idée est plaisante.
– Mais ce n’est pas ça ?
– Non, c’est pas ça. Ils y sont enterrés.

Il va bien falloir que je lui raconte la mission et la trahison des deux lascars..
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Suite de l’histoire cet automne…

D’autres plumes chez Asphodèle, Adrienne, Béatrice, Célestine, Cériat, Coccinelle, Dame Mauve, Eeguab-ModroneEvalire, FabienneGhislaine, Hurluberlu, Janickmm, Jean-Charles, L’Or Rouge, La Plume et La PageMarlaguette, Mélanie, MerquinMon café lecture, Nunzi, PatchCathPierrot Bâton, Pivoine blanche, Sharon, SoèneSolange, T. et Yentl..
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Récits décousus d’un naufragé du temps – Chapitre VI

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Exercice, jeu, écriture pour l’été
Participation occasionnelle !
et suite des aventures des récits décousus d’un naufragé du temps

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Mots imposés :
Espérer, flotter, perdition, cap, sillage, bouteille, iceberg, vent, déambuler, bateau, continent, flots, amiral, génétique, sentiment, débarquer, faille… et myrte, malhabile, muraille.


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Je suis las de ce voyage à bord du Bysance.
La caravelle trace un sillage blanc, laissant déambuler des petits icebergs d’écume. J’ai le sentiment que ma perdition est à la mesure d’un continent à la dérive, prêt à sombrer dans la mer. Le crissement des cordages répond aux cris aigus des mouettes. Nous distinguons un horizon encore malhabile, sorte de mirage longiligne frémissant entre cieux et flots. Dans moins de deux heures, nous débarquerons dans le port d’Ajaccio pour rencontrer l’émissaire du professeur Martins, l’amiral de Fleuris, à qui je devrai remettre mon rapport accompagné d’une pochette en velours ; un poids en carat.
La faille temporelle a eu une faiblesse et nous ne devons prendre aucun risque.

Nous avions quitté Meknassa et le palais du sultan Ben Hamad depuis plus de trois semaines. J’avais arrêté mes derniers récits aux portes de la cité alors que nous étions accueillis par Abdel, l’ami de Cortes. A l’abri derrière les murailles, nous étions épargnés par le vent du sud qui charriait un sable rouge, recouvrant les vestiges de notre caravane et les dernières traces d’humanité dans le désert. Je ne songeais qu’à la pierre du Nil ; une obsession qui commençait à dévorer mes nerfs. Les plans pour accéder au harem m’avaient été remis, ainsi que des armes et une tenue de la garde du califat. Nous ne devions pas perdre de temps et programmer l’action à la faveur de la nuit. Le capitaine Chaid avait perdu son persiflage et semblait moins fier. Je n’étais pas mesquin, ni suicidaire, de le traiter de couard, mais il puait la peur. Conrad ne devait pas participer, il avait la charge de garder les chevaux prêts pour notre fuite. Quant à Mabrouk Cortes, il était fidèle à lui-même. Je crois bien que mon admiration pour son sang-froid était à son point culminant !

La journée s’était parée d’un malaise latent et de silences crispés. Les élucubrations de Conrad étaient remisées au fin fond de mes pensées et je n’avais plus le coeur à les fantasmer. Je n’espérais qu’au lendemain, revoir le jour et donner à ma génétique une longue et heureuse vie ! Je flottais dans une torpeur qui frôlait l’inconscience, mais il aurait été malvenu de m’évanouir. Après cette mission, les vacances seraient de rigueur et peut-être m’offrirais-je une démission…

Je suis sur le pont arrière du bateau et je ne peux me remémorer cette aventure sans en éprouver l’angoisse qui depuis est enracinée en moi. Deux semaines de fièvre et de délires, à me tordre sur ma couchette, à recevoir les soins maternels de Conrad, la compassion de Cortes, à perdre une à une mes dignités en me vidant du haut et du bas, à frémir au moindre bruit et à ingurgiter les mixtures infâmes, additionnées de  vin de myrte pour en masquer le fiel. Le Diamant du Nil a sa légende et je peux affirmer qu’elle n’est pas usurpée !
« La pierre ne s’arrache que si elle s’entache du sang d’un lâche. » … Le sang a coulé.
J’ai passé les deux derniers jours à écrire un témoignage incomplet. Boire au goulot des bouteilles pour oublier, m’enlever de la tête l’image de Chaid crucifié.

Nous avions attendu les premières ombres de la nuit pour nous rapprocher de l’enceinte du palais. Les remparts étaient imprenables, il fallait donc ruser et passer en même temps que la relève de la garde extérieure. Lorsque Cortes avait soumis l’idée, j’avais éclaté de rire ! Etait-ce si simple ? Seul son regard hermétique m’avait dissuadé d’en savoir plus.
Le premier sang versé, fut celui de trois gardes. De gauche à droite, la lame de Cortes a glissé en douceur. C’était pour moi quelque chose de surnaturel. Je n’en confierai pas plus dans ces écrits. La suite m’apparaît à ce jour irréelle, quelque chose de chimérique.  Je me dédoublais et mettais mes pas dans ceux de Cortes et de Chaid. La formation que j’avais suivie sur une base militaire était plus théorique que pratique. J’aurais dû faire un stage commando.
Après avoir caché les corps, nous laissions la médina pour nous engager dans le dédales des cours intérieures. De jardins, en patios, nous mettions le cap sur des cloîtres plus privés, sans rencontrer gardes ou serviteurs. Je bénissais les fortunes du hasard.

– Pierre, vous allez mieux ?
– Oui, mon ami. J’avais besoin d’air.
Conrad s’inquiète de ma santé comme une mère. Son regard se porte également sur la côte corse. Que serais-je sans leurs soutiens ? Par deux fois, ils m’avaient sauvé.
Sa présence m’apaise, me sécurise. Lui aussi écrit ses mémoires, j’ai vu ses carnets. Il fallait que nous confessions nos tourments.
Une tour génoise se dessine, ainsi que la forteresse qui met en garde les Barbaresques. Kallyste ! elle est vraiment la plus belle…

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Suite la semaine prochaine

D’autres plumes chez Nunzi, Adrienne, Marlaguette, T. , CélestineSoène, Mon Café Lectures, PatchCath, Dame Mauve, MélanieGhislaine, Béatrice, Solange, Valentyne, Hurluberlu, La Plume et la Page, Pierrot Bâton, Jean-Charles, Plaisir des mots, Merquin, Yentl, Sharon, Eeguab-Modrone, Cériat, Fabienne, Pivoine, Sable du temps, L’OrRouge, Coccinelle.
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