Les Plumes d’Asphodèle
Exercice, jeu, écriture pour l’été ; dernières de la saison
Participation occasionnelle !
et suite des aventures des récits décousus d’un naufragé du temps
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Mots imposés :
Gens, survivre, univers, découverte, terre, partage, bonheur, macrocéphale, cultures, tour, astral, grandeur, mer, extraterrestre, envahisseur, animal, mappemonde, journal, pluriel, couleur, parallèle, fin, guerre et nymphe, néant, négliger.
Je m’aperçois que j’ai adopté la démarche d’un vrai matelot ! Je tangue sur terre.
Il fait très chaud. Je ne supporte plus l’habit, le tissu gratte.
Dans le couloir exigu et sans fin, je suis un domestique dont la livrée arbore les couleurs rutilantes de la ville ; azur, argent et or. De couloirs en pièces, nous traversons une cour pavée d’une superbe mosaïque qu’animent les borborygmes d’une fontaine ; une nymphe en marbre verse son amphore dans le bassin.
– Signore… volete aspettare qui ?
– Grazie.
Pour la énième fois, je tâte mon pourpoint. Sur le côté, dans une poche intérieure, j’ai le diamant et une liasse de feuilles. J’ai hâte de m’en séparer. Mon regard erre dans la pièce. C’est un bureau avec de hautes fenêtres étroites qui disparaissent derrière de riches tentures. Comme dans les autres pièces du palais, le luxe impose. Je me dirige vers une mappemonde qui me stupéfie. Il me semble que l’objet ne doit apparaître que cinquante ans plus tard. Le globe est un monde décoré d’univers fantasques avec des mers peuplées d’étranges créatures extraterrestres. Des cachalots macrocéphales tenus par des sirènes chevauchent des flots. Le bois est précieux et s’orne de quelques incrustations nacrées et dorées. Ce genre de découverte me réjouit. Curieux, je poursuis mon exploration vers les bibliothèques, ne voulant rien négliger de ses raretés. Une collection d’animaux en ivoire s’étale en procession sur une étagère. Sur une autre, des émaux racontent le chemin de croix du Christ. Les miniatures sont admirables par leur précision et leurs teintes. Je vais vers des enluminures et une carte encadrée qui représente les voies astrales, lorsque la porte s’ouvre.
– Pierre !
– Alex.
Il m’est difficile de reconnaître en cet homme, mon ami d’enfance. La distance qui nous sépare disparaît en une étreinte chaleureuse.
Je le détaille… il a le visage plus émacié, un regard noir et une petite cicatrice sur la tempe. La dernière fois que nous nous étions vus, c’était il y a cinq ans. Il avait eu une permission de trois mois, hors des mondes parallèles qu’il fréquentait depuis son enrôlement. Je l’avais rejoint dans son château en Bretagne et nous avions longuement parlé de la grandeur du siècle qu’il venait de quitter, des guerres qu’il avait menées à bord de L’Envahisseur, le bateau amiral, et de ses conquêtes féminines.
– Amiral Alexandre de Floris… c’est un bonheur de te voir ! Cette chemise à soufflets te va bien ! Je ne suis pas aussi élégante que toi…
Un sourire s’esquisse sur ses lèvres et d’une chiquenaude, fait tomber ma coiffe en feutrine.
– Pierre, tu m’as manqué ! Moi aussi, je suis enchanté de te voir. Viens t’asseoir…
Alors qu’il se recule et se dirige vers un fauteuil, je remarque sa claudication et son dos voûté. L’ami, que t’est-il arrivé ? Ta voix paraît hésitante et tes yeux renvoient un néant.
– Tu es bien logé ! Le cadre est magnifique et tu as à ta disposition des trésors. A qui appartient le palais ? Les ancêtres de Napoléon ? de Tino Rossi ?
– Ah ! quel historien tu fais ! Nous sommes bien éloignés de tes références, n’est-ce pas ?
Non, le château appartient à l’Office de Saint-George. Ils ont des finances inépuisables !
Nous parlons de reconstruire la ville ailleurs, avec une forteresse et des tours sur la côte. Je vais les aider. Tu sais que ma première passion est l’architecture !
– Et vois-tu toujours la belle espagnole ? Comment elle s’appelle déjà… Maria, Isabella, Anunziata ?
– Pierre, tu es resté romantique ! L’amour, je le définis au pluriel !
– Tu fais des heureuses ! Et Sigismond, ton secrétaire ? Tu partages toujours avec lui tes mémoires en plus des faveurs de ces dames ?
– Il est mort.
– Je suis navré.
Le silence envahit la pièce, donnant à l’atmosphère une lourdeur palpable. Sigismond avait été recruté au XVIIIème siècle. Il avait le raffinement précieux de son époque et l’esprit des Lumières. J’avais beaucoup aimé converser avec lui et je savais qu’Alex était fortement atteint par le décès.
– Que s’est-il passé ?
– Je ne veux pas en parler Pierre. S’il te plaît.
Alex se perd dans le verre qu’il se sert. Il ouvre plusieurs fois la bouche mais aucune parole n’en franchit le seuil. C’est la première fois que je le vois si désemparé. Le temps des confidences viendra plus tard… peut-être ce soir lors d’une partie d’échecs. J’avais trois jours à lui consacrer.
– … Raconte-moi ce mois passé sur le Bysance ! Tu t’habitues à tes gens ? Et Jouve ?
Je prends le verre de vin qu’il me tend et je m’écroule dans un fauteuil capitonné. Je ne sais pas comment aborder mon récit. Jouve… je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. Les nerfs craquent et je m’effondre à mon tour dans un silence abyssal.
Alex lève un sourcil et tord la bouche. La vie de ses sourcils m’a toujours épaté.
– Donc, Jouve ?
– Jouve !
– Oui !… Marcel Jouve ! Assistant de Martins, celui à qui tu devais remettre ton journal et la pierre du Nil.
– Ouais… ben, il est avec Chaid, le capitaine du bateau.
– Et ?
– Et… et… ils sont tous deux dans une orangeraie près de Meknès.
– Ils se lancent dans les cultures ?
– Vu ainsi, c’est vrai que l’idée est plaisante.
– Mais ce n’est pas ça ?
– Non, c’est pas ça. Ils y sont enterrés.
Il va bien falloir que je lui raconte la mission et la trahison des deux lascars..
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Suite de l’histoire cet automne…
D’autres plumes chez Asphodèle, Adrienne, Béatrice, Célestine, Cériat, Coccinelle, Dame Mauve, Eeguab-Modrone, Evalire, Fabienne, Ghislaine, Hurluberlu, Janickmm, Jean-Charles, L’Or Rouge, La Plume et La Page, Marlaguette, Mélanie, Merquin, Mon café lecture, Nunzi, PatchCath, Pierrot Bâton, Pivoine blanche, Sharon, Soène, Solange, T. et Yentl..
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