Avec une guirlande de mots imposés, il fut un temps où je passais des jours d’été à écrire les Plumes d’Asphodèle. Pour l’anniversaire des Plumes, pour faire un petit coucou à Aspho, Mind nous a recontactés et nous a conviés à reprendre l’exercice.
Fidèles au rendez-vous, Mind, Valentyne, Soène, Lydia, Aliénor, Laure, Émilie, Pathcath, Pativore, Antiblues, Martine27, Célestine, Laurence, Sharon et même Asphodèle, ont répondu « présent ! »…
Des mots, une histoire, « Récit décousus d’un naufragé du temps », j’ai repris celle que j’avais abandonnée pour lui donner une courte suite.
Aidés d’un groupe de mercenaires, un historien doit accomplir une mission dans un autre temps… (voir la page)
Chapitre VIII
Les mots : Aquarelle, voyelle, mirabelle, maternelle, stèle, éternel, bretelles, ribambelle, infidèle, dentelle, cannelle, passerelle, balancelle, ritournelle
Dans ma chambre, appuyé contre le chambranle de la fenêtre aux persiennes à moitié fermées, je regarde la rue pavée. Les sons montent et offrent une cacophonie mal orchestrée… le bruit des attelages, des sabots des chevaux, les cris des camelots, la ritournelle d’un jeune ouvrier qui monte un étal devant l’échoppe d’un boulanger, pour la belle infidèle qui lui apporte une brioche sortie du four, et toute une ribambelle d’enfants qui se courent après, c’est un matin déjà bouillonnant et fiévreux.
Je viens de terminer le rapport de la journée d’hier en revivant l’instant où j’ai appris à Alex les fourberies de Jouve et de Chaïd. Les deux traîtres avaient convenu de nous subtiliser le joyau avant de regagner le bateau, mais la garde du khalifat lancée à nos trousses les avait attrapés et tués. Cachés chez un ami de Cortes, nous n’avions pu les enterrer que deux semaines après, alors que leurs corps suspendus étaient comme de la dentelle, avec sa trame fragile et ajourée. Une nuit, j’avais laissé le soin à mes amis de décrocher les corps et de creuser une sépulture. Un repos éternel sans stèle, anonyme, loin de leur terre maternelle.
A ce jour, je ne sais toujours rien de leur complicité, et un millier de questions viennent me tarauder l’esprit. Je ressors de ma poche un billet écrit par Jouve que j’avais retrouvé dans les affaires de Chaïd. Un texte sans voyelle, impossible à lire, impossible à déchiffrer. Ce morceau de papier attestait du caractère réfléchi de leur mission et je comptais bien en savoir un peu plus…
Un doux ronron vient me sortir de ma torpeur. C’est la chatte d’Alex, Mirabelle, qui le précède toujours en annonçant la venue de son maître. Je m’empresse donc de m’habiller et j’en suis à remonter mes bretelles quand Alex pousse la porte.
– Tu as bien dormi ?
Je découvre mon ami bien mieux que la veille et j’en suis ravi. Notre soirée passée à nous rappeler des jours heureux lui a fait le plus grand bien.
– Oui, j’ai dormi comme un loir ! Et ça ne fait qu’une petite heure que je suis réveillé. Je mets ma veste et je te suis…
– Ne te presse pas, nous avons toute la matinée. J’ai transmis ton journal et le diamant à un agent qui a pris une passerelle spatio-temporelle, à l’aube. J’espère que Martins les recevra dans les temps.
– Tu as un peu cogité sur la trahison de Jouve ? Crois-tu qu’il était seul aux commandes ? C’est quand même incroyable !
– Je n’en sais fichtre rien ! Jouve était certainement un pion. Son intelligence n’était pas très brillante !
– Que faisons-nous ce matin ? Je dois retrouver Conrad et Cortes cet après-midi.
Alex rit et me fait signe de le suivre.
Dans le labyrinthe du palais, nous passons de salle en salle pour arriver dans son bureau. En barrant sa bouche de son index pour me dire de me taire, il me fait approcher d’une fenêtre ouverte et m’invite à voir la vue qui surplombe un jardin. Le tableau est beau, on dirait une aquarelle. Les frondaisons fleuries aux douces teintes sont le décor d’une scène amoureuse. Sur une balancelle, deux silhouettes enlacées sont en murmures et en baisers. Une jeune femme à la peau cannelle, ploie sous le corps d’un amant.
Ne pouvant retenir un rire franc qui les dérange, le ténébreux Cortes lève la tête et me fait un clin d’œil.
De notre mission, nous avions ramené les deux plus beaux joyaux de la cité de Meknès ; le Diamant du Nil et la sœur du sultan, la belle Jasmina.