L’été de la sorcière

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Le mois d’avril au Japon, avec Hilde et Lou

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L’été de la sorcière
Nashiki Kaho
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La Sorcière de l’Ouest est morte ; ainsi commence le roman.
Au décès de sa grand-mère anglaise, Mai, une adolescente de quinze ans, se rappelle les merveilleuses vacances qu’elle avait passées avec elle, deux ans auparavant. C’était une période de sa vie où elle se sentait prisonnière d’une douloureuse mélancolie, où le collège était pour elle un « lieu de souffrance », séparée des autres à cause de son métissage, engluée dans la nostalgie de quelque chose inconnue. Pour la sortir de cet état d’angoisse, ses parents l’avaient laissée chez sa grand-mère tout un été, dans une campagne entourée de bois, de collines, protégé par une chaîne de montagnes au loin. Elle avait adoré ces moments de grâce où elle s’était sentie revivre.
Sa relation avec sa grand-mère était basée sur beaucoup d’amour. Son séjour avait débuté par une réappropriation du territoire ; la maison, le poulailler, le jardin des fleurs, le jardin des aromates, le potager et au-delà des barrières, les lieux sauvages qui étaient une source d’inspiration et de rêveries. Sans la brusquer, sans poser de question, sa grand-mère avait voulu lui communiquer sa force et elle l’avait incitée à suivre un entraînement… car à la clef, il y avait un secret.
Était-elle une sorcière comme sa grand-mère et la grand-mère de sa grand-mère ? Avait-elle aussi le don de double vue ?
Retrouver et développer sa force mentale, méditer, manger sainement, dormir huit heures la nuit, avoir de la volonté, ne pas esquiver les rituels du matin avec toutes les corvées, rentrer en communion avec le jardin, et les poules, ramasser les fraises des bois, préparer les confitures… L’enthousiasme qui avait été le sien était un prélude à une belle vie. Leurs conversations s’étaient élevées vers une philosophie zen, pleine de sagesse, en rapport avec la nature, l’espace, et elles avaient abordé tous les sujets ; la vie, la mort, le corps et l’âme.
Mai était devenue une fleur qui déployait ses pétales doucement et sûrement.

L’auteur nous livre dans ce roman ses souvenirs précieux partagés avec sa grand-mère. « Écouter sa voix intérieure »… avoir des pensées heureuses, être en harmonie avec la terre et trouver son bonheur dans ce qui nous entoure, un peu partout, en chaque saison. Les invitations sont nombreuses ! L’histoire contée est aussi celle de la disparition d’un être aimé. Ces souvenirs atténuent un peu la peine et sont comme des baumes à son deuil.
L’écriture est belle, elle se veut simple. Elle est douce comme une berceuse, et fraîche comme l’eau de la source.
Je vous recommande cette histoire émouvante qui laisse à l’esprit tout le meilleur de notre monde.
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Image du film
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Hôzuki

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Le mois d’avril au Japon, avec Hilde et Lou

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HôzukiL’ombre du chardon
Hôzuki, tome 2

Aki Shimazaki
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L’hôzuki est une physalis qu’on appelle Amour en cage ou Cerise d’hiver.
La suite d’Azami, nous amène à suivre Mitsuko, le premier amour de Mitsuo. Après avoir vécu une intense relation, tous deux ont suivi des voies séparées. Mitsuo s’est retiré à la campagne et a créé une revue sur l’Histoire, et Mitsuko, alias Azami, a ouvert une boutique de livres anciens et rares. Avec son fils Tarô, un enfant sourd et muet, elle vit en compagnie de sa mère et a gardé son rôle d’entraîneuse. Une fois par semaine, en secret, elle se perruque, se grime et endosse le costume de la femme fatale.
Un jour dans sa librairie, elle reçoit la visite d’une femme très raffinée, accompagnée de sa fille, qui désire acheter des écrits philosophiques pour son  mari, un diplomate basé en Allemagne. Alors qu’elles sont dans les rayons à rechercher des titres, Tarô invite la petite fille à venir dessiner avec lui et un lien se tisse instantanément. Le début de cette amitié soudaine est une connexion particulière, comme si elle avait quelque chose de fusionnel et de viscéral.
De nature réservée et prudente, Mitsuko va baisser sa garde pour faire plaisir à son fils car sa nouvelle amie, Hanako, souhaite le revoir. Si les échanges entre les mères étaient simplement courtois, une petite sympathie va se tisser et mener l’énigmatique Kalo Sato à plus se dévoiler. Le poids de ses confidences sera lourd…

« Je revois le visage de Shôgi, docteur en philosophie. J’entends sa voix : « L’avortement est une prérogative de l’humain. » Je lève les yeux vers le ciel. Je dessine dans ma tête une chaîne dont chaque maillon porte un nom : Shôgi – moi – mon dernier amant Mitsuo – le journaliste de sa revue Azami – l’homme qui a donné la revue au diplomate – la femme du diplomate venue à ma boutique – sa fille Hanako – Tarô.  Tous sont liés entre eux directement ou indirectement. Le début et la fin sont liés sans se connaître. Si je n’avais pas rencontré Shôgi, je n’aurais probablement pas eu Tarô, bien que Shôgi n’en soit pas le père.
J’achève ma cigarette. Socrate miaule devant la porte. En ouvrant, je chuchote : « Toi aussi, tu es un maillon dans cette chaîne. » Il me dévisage, comme s’il répliquait : « Non, je suis seul. »

Les coïncidences de la vie sont des surprises pas toujours agréables. Quand certains chemins se croisent, on peut en ressortir très blessé. Ce deuxième opus rentre dans l’intime secret de Mitsuko, une femme qui a cherché la rédemption en étant mère. Dans cette histoire, c’est l’amour d’une mère pour son fils qui est raconté dans une confession presque mystique.
L’écriture pleine de tendresse est à la fois légère et passionnée. Elle pose l’éternelle question sur la théorie de l’instinct maternel.
Un beau roman, très japonais dans son maintien, mais sans frontière aussi…

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Azami

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Le mois d’avril au Japon, avec Hilde et Lou

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AzamiL’ombre du chardon
Azami, tome 1

Aki Shimazaki

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Mitsuo Kawano est le narrateur. Alors que sa femme Atsuko et ses enfants sont partis à la campagne pour cinq jours, il se retrouve durant cette absence seul et assez heureux de ce célibat.
A la sortie de son travail, il rencontre un vieux camarade de l’école primaire qu’il n’avait pas revu depuis vingt-quatre ans. Lors d’une soirée dans un club huppé, tous deux refont connaissance et font remonter les souvenirs de l’enfance. Un nom revient, celui de Mitsuko, une jeune fille qui était arrivée en cours d’année et qui les avait subjugués par sa beauté, son intelligence et sa dignité. Son nom revient car, par enchantement, ils la voient déambuler dans la salle en tant qu’entraineuse. Diablement séduisante et mystérieuse, fardée, vêtue d’une robe sexy, elle aimante les regards. Elle se fait appeler Azami et elle a été son premier amour.
Mitsuo est perplexe et se questionne. Que lui est-il arrivé ? Pourquoi la retrouve-t-il dans un tel lieu ? A partir de cet instant, les rêves de Mitsuo vont ressurgir. Il voudra la revoir et sa vie prendra un tournant, aussi bien dans sa vie professionnelle que dans sa vie familiale.
Azami est le nom d’une berceuse que lui chantait sa grand-mère. Azami, c’est une jolie fleur bleue sauvage, résistante et pleine d’épines.
Marié depuis huit ans, Mitsuo mène une existence en demi-teinte, captif d’un quotidien qui ne l’exalte plus et d’un mariage terne, asexué. Il dit d’Atsuko qu’elle est une épouse « patiente, bien éduquée, attentive, sociable, bonne ménagère et bonne mère ». Les mots peuvent paraître gentils et amoureux, mais ils sont en fait comme des coups de poignard pour cette amante qui ne l’est plus depuis la naissance de leur second enfant. D’un commun accord avec elle, ils font chambre à part et, pour ses « besoins », il fréquente les pink-salon, les fûzoku-ten.
Les fantasmes ressurgissent avec Azami ; il est temps pour lui de s’interroger sur l’amour et son devenir. Combien de temps dure « l’alchimie des corps » ? Peut-il se permettre d’avoir une maîtresse régulière et de sacrifier son foyer ? Et si sa femme apprenait son adultère ?

Avec des phrases courtes et des mots simples, crus et sans paravent, mais aussi si beaux, discrets et délicats, à travers la quête de cet homme, l’auteur fait tomber les masques et nous conte les variations de la passion. Elle mute et oscille entre amitié, tendresse, ardeur et volupté.
Un très beau roman sur les sentiments, les faux-semblants et la société japonaise, le premier d’une série, où les personnages vont se croiser et évoluer. Le monde est petit et il semblerait qu’il n’y ait aucun hasard.

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1892, Imao Keinen, « Chardon japonais, bergeronnette grise »

Mission hygge

Il était huit fois Noël avec Chicky Poo et Samarian
Le mois nordique de Cryssilda

Une lecture commune avec Lilas, Samlor, Jojo, Samarian,

Mission hygge
Caroline Franc

Chloé Savigny est reporter de guerre. Ses destinations sont la Syrie, l’Irak, la Somalie et bien d’autres pays où il y a des zones de combats. Paradoxalement, elle se sent pleinement vivante lorsqu’elle côtoie la mort, et en dehors de ses voyages, tout lui semble insipide et artificiel. Mais cette vie use et à trente-cinq ans, Chloé n’est plus qu’une ombre. Toujours irascible, à fleur de peau, elle inquiète sa famille et son patron. Alexandre est son mentor depuis sa sortie de l’école de journalisme dix ans plus tôt, et ce qu’il voit de sa protégée, sa fille de cœur, l’effraie.
C’est donc sous la forme d’une sommation (soit tu pars là-bas, soit tu es virée !) qu’il l’envoie dans un petit village côtier du Danemark pour faire un article sur Gilleleje. Aux dernières nouvelles selon une étude, ses habitants seraient considérés comme  « les plus heureux du monde ».

Le bonheur… Chloé aurait tendance à le fuir et c’est bien à regret qu’elle part se renseigner sur la définition du hygge, une façon de vivre qui apporte au quotidien de la légèreté, de l’optimisme et des joies en communauté.
Pour être au plus près des bonnes âmes de Gilleleje, en immersion complète jusqu’à la fin de l’année, Alexandre lui a trouvé un job de serveuse dans une brasserie et une chambre dans une maison d’hôtes tenue par une vieille dame, Birgit.
Comme une anthropologue, Chloé commence à raconter dans un journal de bord, sous la forme de listes, son environnement (des paysages magnifiques), les gens qu’elle rencontre (très singuliers), et ses activités au sein de cette société. Les chapitres de ses journées commencent par des mantras qui évolueront le temps de son séjour, et les formules sont toutes des encouragements et des acceptations… « Croire au pouvoir des guirlandes lumineuses… », « Courir sous la pluie et faire avec… », « Le bonheur vient une maille après l’autre… »« Dire oui à la magie de Noël ».

Est-ce que le bonheur est contagieux ? On peut l’espérer. Chloé apprend ; elle ne fait pas sa forte tête. Bousculée et apprivoisée, elle découvre des amis, une nouvelle philosophie de vie, et peut-être bien qu’elle croisera l’amour…

Je vous invite à suivre Chloé dans sa mission. Vous lirez un beau pays et de charmantes personnes qui puisent des forces et du réconfort au contact des autres.
C’est Noël, des guirlandes de houx se mêlent aux guirlandes lumineuses, on se retrouve tous les soirs, on trinque, on se raconte, on se réconforte, on fait des balades le long de la plage, on respire goulument l’air froid… et on apprend à tricoter (une maille après l’autre).
C’est un tout petit livre qu’il faut lire l’hiver, en période de l’Avent. L’histoire est douce, gourmande en bons sentiments et tire vers l’optimisme.
Une lecture plaisante que je vous recommande…

Photo Pinterest

L’abécédaire des sentiments

Challenge voyage en Inde avec Hilde

 

 

L’abécédaire des sentiments
Anita Nair

 

Dans les hautes collines d’Anamalai, trois narrateurs se racontent dans l’histoire des sentiments. La première est Komathi, une femme d’âge mûr de cinquante-sept ans qui a passé une grande partie de sa vie à s’occuper d’une maison et d’une femme, Leema, qu’elle a vue grandir et s’épanouir, tout au long de ses trente dernières années. La seconde personne qui prend la parole est Leema. A trente-huit ans, sans enfant, sa vie est rentrée dans une routine qui se partage entre son mari avocat, leur plantation de thé et ses actions bienfaitrices dans un orphelinat. Bien qu’appartenant à une caste supérieure de gens aisés, son existence devient de jour en jour pesante, vide, inintéressante et si éloignée de ses rêves ! Le troisième qui intervient est un grand acteur de cinéma, Shoola Pani, qui a loué un cottage sur la propriété de Leema. Après son divorce, Shoola se sent brisé et n’aspire qu’à se ressourcer dans la solitude, loin du harcèlement médiatique et loin de son agent tyrannique.

A tour de rôle, ces trois personnages vont confesser leurs désirs et se découvrir.
Komathi qui a depuis longtemps abandonné ses chimères de jeunesse, décide pour faire plaisir à sa petite-fille d’apprendre à lire. Selvi a une pédagogie très particulière qui ne déplaît pas à sa grand-mère. Chaque lettre de l’alphabet a son fruit, son légume, son plat cuisiné.
Ainsi, le livre commence avec la lettre A, comme Arisi appalam. Connaissant aussi bien la nourriture que l’âme des gens qui l’entourent, elle va dans son for intérieur leur cuisiner ce dont ils ont besoin.  Leema a grand besoin d’arisi appalam, des petites crêpes si fines, si légères… si réconfortantes.
Leema reçoit la brume épaisse qui tombe sur le jardin, comme une chape de plomb. Elle a soif d’air et d’espace.
B, comme Badam. Le badam est une amande très prisée, une petite gourmandise qui sous sa peau brune et rêche lui rappelle la douceur du lait. Lorsqu’elle voit pour la première fois Shoola parcourir le parc pour se diriger vers le bord d’une falaise, Komathi qui se repose sous un arbre veut lui crier de faire attention. Il est enfoui dans ses pensés, loin de tout, fermé sous une carapace. Il y a une certaine ressemblance avec le badam.
Shoola s’est rasé les cheveux. Il est si fatigué ! Il se demande si un jour, il ne sera plus cette coquille vide.
C, comme Cheppankizhangu. Le cheppankizhangu est un bulbe que l’on cultive depuis plus de dix mille ans… il lui rappelle son aachi, sa mère…
D, comme Daangar chutney. Le daangar chutney est un plat marathi. C’est aussi un plat qui la renvoie à l’époque de Raghavendra Rao, celui qui avait capturé son cœur.
E,…

L’alphabet se développe avec des saveurs de miel et d’épices. Il est généreux et vient s’apposer comme un baume sur les plaies de chacun. La sage Komathi voit éclore des sentiments entre Leema et Shoola et si au début elle désapprouve cette errance sentimentale, elle finira par donner son assentiment avec la lettre Z, comme Zigartanda, une boisson fraîche, désaltérante ; « la boisson au cœur froid, qui vous fait pénétrer dans l’inconnu sans vous arrêter à ce que vous laissez derrière vous ni à ce qui vous attend. »

C’est une jolie romance aux charmes de l’Inde, une histoire simple toute en couleurs et en sentiments, avec un tempo assez lent au début et pudique, puis plus passionné sur la fin. Ce qui la distingue, c’est l’énumération de tous ces goûts qui viennent titiller notre imagination gustative. Il y a aussi l’évocation de cette terre aux parfums boisés, organiques, qui ondoie l’horizon.

 

 

 

Mangue amère


Challenge voyage en Inde avec Hilde

 

Mangue amère
Bulbul Sharma

 

Sans explications, juste avant sa mort, le vieux Bhanurai Jog avait renié les personnes de sa famille en léguant sa grande et belle maison à Badibura qui n’était qu’une lointaine connaissance de son épouse, morte avant lui. C’est donc pleine de reconnaissance pour ce bienfaiteur qui l’avait extraite d’un statut miséreux, que Badibura avait pris l’habitude tous les ans de célébrer un festin le jour de l’anniversaire de ses funérailles.

Le livre commence ainsi. Cette fois-ci pour le repas, Badibura a demandé à sept femmes de son entourage de le composer. Elles arrivent l’une après l’autre avec dans leurs paniers de quoi composer les plats qui garniront la riche tablée. La cuisine s’anime et se colore, les légumes se mêlent aux fruits, les épices aux herbes, le chant des marmites aux histoires de ces cuisinières qui vont conter tout le temps des préparatifs.
Les récits sont comme le titre de ce roman ; mangue amère… doux et âpres, légers et acides, veloutés et violents. Ils sont à l’image d’une cuisine où le sucre se combine parfaitement aux piments.

A travers ces nouvelles qui ne parlent que de femmes, nous côtoyons une société très marquée par les codes, les rituels ancestraux et le respect des traditions. Souvent traitées de sorcières et reléguées à un rang inférieur à celui de l’homme, elles n’apparaissent dans les histoires pas seulement soumises, mais fières, fortes et dangereuses. Jeune mariée, veuve, mère abusive, belle-mère dominatrice, épouse meurtrie, femme stérile, leurs portraits sont complexes et bien supérieurs aux hommes qui sont décrits comme des êtres faibles, immatures et égoïstes.

Avec ce livre, l’auteur nous plonge dans un univers lointain, curieux et difficile à comprendre. J’ai beaucoup aimé lire les couleurs et les parfums, à l’évocation de ces paniers en cuisine plein de potirons, d’aubergines, d’épinards, de coriandre, de menthe, de basilic, de gingembre… à l’évocation des lieux, à l’ombre des manguiers, sous les goyaves… à l’évocation des saris en soie… Mais je n’ai pas aimé tout le suc cruel et sec qui s’en délivre.

 

 

 

Le Viking qui voulait épouser la fille de soie

Décembre nordique avec Cryssilda (Suéde)

 

Le Viking qui voulait épouser la fille de soie
Katarina Mazetti

Au Xe siècle,


Sur Möckalö, une île du sud de la Suède, nous faisons la connaissance de Säbjörn, un constructeur de bateau qui vit dans sa ferme avec ses deux fils, sa belle-sœur et ses esclaves. Sa femme et mère de ses enfants est partie sans donner d’explications, mais tous espèrent qu’un jour elle reviendra. Avec cette disparition Säbjörn qui était avant tout un homme de paix, devient plus ombrageux et violent. Sa douleur se reportant sur son fils aîné, Svarte qui ressemble physiquement à sa mère, il accorde toute son attention et son affection à son fils cadet, Kare. Grâce à Arnlög la volvä, la tante qui a un don de divination, qui parle aux oiseaux et qui tient le rôle de guérisseuse, la famille reste unie mais au fil des ans, alors que les garçons grandissent, les liens se délitent. Svarte, l’intrépide, le fougueux, le jaloux, et Kare, le rêveur, le terrien, le bon, aspirent à découvrir le monde en cherchant l’aventure au-delà des mers. Vers leurs seize ans, la tête pleine de rêves de négoces et de richesses, l’un après l’autre, ils quittent le giron de leur île pour d’autres contrées.

A Kiev, Chernek, un riche marchand de soieries, vit dans son palais avec ses deux enfants, Radoslaw et Mika. L’aîné, élève militaire, s’imagine participer à d’illustres batailles et conquêtes aux côtés de l’homme qu’il admire, Sviatoslav le Grand-duc, et la cadette souhaite quitter les murs sécurisés et somptueux de sa demeure pour accompagner son père dans ses voyages à Constantinople. Pour la consoler, Chernek se montre toujours très généreux avec elle et lui offre pour ses dix ans, deux esclaves, des gamines venues de continents lointains ; Poisson d’or aux yeux étirés et Petite Marmite à la peau d’ébène. Les trois enfants qui grandissent ensemble, deviennent inséparables et leur amitié va dépasser le statut maître-esclave.

Un jour, tous ces personnages se rencontreront. Chernek part pour ses commerces en laissant sa fille à Kiev. Mais lors d’un conflit, la ville est attaquée, pillée, et Radoslaw, Mika, Poisson d’Or et Petite Marmite sont faits prisonniers par l’un des assaillants qui se trouve être le capitaine Svarte. Plus protecteur que geôlier, le viking les ramènera de l’autre côté de la Baltique, dans l’île de son père, où chacun œuvrera à sa destinée.

Katarina Mazetti conte leurs vies d’une écriture belle et émouvante. Récit très intéressant sur la grande Histoire, sur les civilisations, les croyances, récit épique, récit de voyages, récit d’amours, les mots nous tiennent captifs et nous mènent au cœur de ce siècle en pleine mutation. Les deux univers, l’un d’une île scandinave à la société rustique, guerrière et paysanne, et l’autre d’un empire florissant, riche et raffiné, se confrontent et s’unissent. Il y a un peu de Dumas dans ces histoires passionnantes et romanesques, très enlevées.
Un roman à recommander, qui fut une belle surprise…

Un autre avis chez Nahe,

 

 

 

 

La surprise de Noël


Il était sept fois Noël avec Samarian et Chicky Poo

 

 

La surprise de Noël
Debbie Macomber

A vingt-quatre ans, Merry ne sort jamais et n’a pas de petit ami, ce qui attriste ses parents qui sur un coup de tête l’inscrivent dans une agence de rencontre sur le net, sous le pseudo de Mary. De famille modeste, elle est obligée de faire de l’intérim pour payer ses études. Son temps est très pris entre ce travail et sa famille, car sa mère a une sclérose en plaques et son petit frère est atteint de trisomie 21.
La fin de l’année est intense et à Noël, il y a tous les préparatifs à organiser. Dans son entreprise, un gros contrat avec la société Boeing est sur le point de se conclure et son service est particulièrement sollicité. Le vice-président, Jayson Bright, pousse les employés dans leurs retranchements et ne ménage pas Merry qui subit trop souvent ses foudres royales… Dictatorial, tranchant, intransigeant… la liste des adjectifs antipathiques est trop longue. Bref, un Grinch !

A plus de trente ans, Jayson Bright se consacre exclusivement à son travail en cherchant essentiellement à satisfaire son oncle, le président de la société, qui s’est occupé de l’enfant solitaire qu’il était après le divorce de ses parents. Cette dévotion le transforme petit à petit en un être un peu trop impérieux, glacial et désagréable avec tout le monde, sauf avec son cousin qui a partagé son enfance.
Alors quand ce cousin lui annonce qu’il est très amoureux d’une amie d’enfance qu’il a retrouvée sur un site de rencontre et qu’ils vont se marier, Jayson commence à réfléchir. Curieux, il s’accorde quelques minutes à regarder le site et le profil qui attire son attention est celui d’une certaine Mary qui a mis la photo de son chien en guise de portrait. Le chien le renvoie à une époque heureuse de sa vie quand il en avait un lui aussi, et sur un coup de tête, il décide de créer son profil avec une photo de Rocky et de contacter Mary.

De chapitre en chapitre, la lecture passe de Merry-Mary à Jayson-Jay. Nous les accompagnons dans ce jeu de rôle et dans leurs approches timides au début et plus amicales par la suite. Tous les soirs à 21 heures, ils se connectent pour une parenthèse enchantée. Mary lui raconte sa vie, sa famille, ses rêves, se plaint de son odieux patron, lui parle de Noël, une fête magique… et Jay se reconstruit et grandit en se nourrissant de sa générosité, de sa fraîcheur, des bonheurs simples qu’elle lui offre.
Et puis arrive le jour où tous deux décident de se rencontrer. Vraiment se rencontrer ? et non… leur histoire d’amour ne va pas se conclure aussi rapidement, et cela, pour la joie des lectrices qui charmées, vont sourire, ricaner et dévorer cette romance, bonne comme un petit sablé de Noël.

 

Un autre billet avec Nahe

 

 

 

Dans les rapides

Dans les rapides
Maylis de Kerangal


Après « Tangente vers l’est » et « Un monde à portée de main », je retrouve Maylis de Kerangal dans ce tout petit livre qui parle d’adolescence, de démarche identitaire, d’apprentissage et de musique. Cette fois-ci, elle nous mène en 1978 dans le sillage de trois amies qui découvrent le rock-punk avec Debbie Harry du groupe Blondie et une pop-rock baroque avec Kate Bush.

Lycéennes de quinze ans au Havre, elles se sentent un peu à l’étroit, piégées, dans une ville qui est en constante reconstruction depuis l’après-guerre. Inséparables, elles traînent leur jeunesse fardée de noir en quête d’une trajectoire non conventionnelle à suivre.

Il y a Nina, Lise et Marie la narratrice qui nous raconte comment le groupe Blondie est arrivé comme un astéroïde dans leurs vies. Leurs goûts musicaux étant enclavés entre les variétés françaises qu’aiment leurs parents et les standards sans surprise qui passent à la radio, c’est seulement par l’intermédiaire de leurs frères, leurs cousins et leurs amis, qu’elles peuvent sortir des sentiers battus. Alors lorsqu’elles entendent pour la première fois « Parallel Lines » de Blondie, c’est pour elles bien plus qu’un éveil musical, c’est une révélation qui va les sortir de leur torpeur et les faire rêver. Figure iconique, la blonde Debby Harry semble croquer la vie et mener son monde de main de maître.

Dans un tempo percutant, électrique et haché, nous les suivons sur quelques mois de l’hiver, des journées couleur « anthracite », entre le lycée, les sorties avec alcool et cigarettes, les entraînements à l’aviron, leurs béguins, leur désir de partir à New York, et leurs premières disputes ; car entre Debbie Harry et Kate Bush, qui choisir ?
Malgré le rythme rock, l’auteur distille aussi beaucoup de tendresse. Les adolescentes aspirent à une vie plus adulte, plus indépendante, mais elles ont encore la douceur de l’enfance et leurs terminaisons bien liées à leurs parents. Les passages où Marie évoque ses parents sont très beaux.
Je suis une fille de cette génération, j’avais douze ans. Et si je ne me suis pas retrouvée en elles car j’étais d’un genre plus classique, j’ai quand même connu une Nina, une Lise et une Marie qui ont pris ces rapides.
Un roman à découvrir !

 

 

Le garçon qui dormait sous la neige

Décembre nordique avec Cryssilda
Littérature suédoise
Une lecture commune avec Nahe

 

 

Le garçon qui dormait sous la neige
Henning Mankell

1958,

Dans le nord de la Suède, Joël Gustafsson, un garçon de treize ans, vit avec son père Samuel, un bûcheron qui travaille dans les forêts de sapins. Ancien marin, il a tout quitté pour s’occuper de lui, le jour où sa femme les a laissés pour mener une vie moins modeste et plus exaltante dans une grande ville.
Joël et Samuel partagent le goût des rêves, des horizons lointains et du silence. Leur complicité se retrouve dans le quotidien, dans toutes les petites tâches ménagères qu’ils accomplissent chacun à tour de rôle, et dans les sollicitudes les plus anodines. L’évasion par le rêve, Joël s’y plonge depuis l’enfance, et depuis son accident où il a failli mourir écrasé par un bus, il croit aussi aux miracles.
A l’approche de la première neige, il pense que le temps passe très vite. Hier, il était un petit garçon et à présent, il se sent grandir et devenir un peu plus homme. Un hiver, un printemps, un été, et l’automne se fond rapidement dans l’hiver ; les couleurs changent et le givre devient neige. L’enchaînement des saisons se fait en accéléré et Joël prend conscience en voyant son père se voûter un peu plus chaque jour, que les années sur lui ne sont pas miséricordieuses. Un travail difficile, des peines et des regrets pèsent lourd sur l’esprit et le corps qu’il néglige.
Pour ne pas ressembler à son père, et pour pouvoir vivre longtemps jusqu’à cent ans, Joël décide de s’endurcir et surveille sa transformation. Parmi ses trois résolutions pour la prochaine année, entre devenir riche pour aller vivre près de la mer et voir une femme nue, il veut pousser son corps dans ses limites en allant dormir sous la neige. L’endurance doit se faire petit à petit et les nuits de Joël s’en trouvent bien animées…

Une jeune vendeuse chez l’épicier fait son apparition. Belle et tentatrice, elle nourrit ses émois. Et sa camarade de classe qu’il trouvait stupide, trop puérile dans ses ricanements, suscite son attention. Du coup, sa meilleure amie Gertrude dégringole dans la hiérarchie de ses préférences. Il faut dire qu’il aurait préféré qu’elle soit de son âge et pas dix ans de plus, moins originale et qu’elle ait un nez. Gertrude a un trou à la place du nez, un trou qu’elle cache avec un mouchoir ou un nez rouge de clown, tout dépend des jours, tout dépend de son désespoir, et il en a un peu honte. Puis, l’institutrice se montre plus sévère, plus inquisitrice, les femmes du village, vieilles, grosses, plus commères, et la petite amie de son père moins amoureuse, ce qui pousse son père à se réfugier dans l’alcool. Le mystère des femmes reste entier et il en est perturbé.

La naïveté de Joël s’émousse et son caractère s’affirme en même temps que ses hormones. Plus dans l’action et le jugement, il en arrive aussi à avoir envers son père des poussés querelleuses qui vont bousculer leur existence et redéfinir leurs vies.
Les rêves, les résolutions, font place à l’action et Joël promet sur la tombe d’un enfant de quatorze ans qu’il mettra tout en œuvre pour les accomplir. Un jour, il sera rocker comme Elvis Presley, et un jour, il emmènera son père sur l’Île de Pitcairn, sur les traces des mutins du Bounty.

Le roman commence avec les rêves d’un jeune enfant mais au fil des pages, ses divagations s’ancrent un peu plus dans le concret et moins dans son imaginaire. Mélancolique, douce, fougueuse, pleine de promesses, d’espoir et de chagrin, l’auteur a bien su traduire son histoire et les phases de son adolescence à l’aube des années 60. Joël est un héros pas ordinaire. Il a une force et une intelligence singulière pour un enfant de son âge, car tout jeune il a été confronté à des responsabilités, à l’abandon de sa mère et à l’alcoolisme de son père.
La lecture nous mène dans un paysage beau et rude sous la neige, paisible et ouaté, nous fait rencontrer des âmes abimées, solitaires et taiseuses et nous donne un sentiment ou une sensation de grande liberté et d’indépendance. Elle séduira à coup sûr les jeunes lecteurs en quête d’un récit initiatique, plein de poésie, d’innocence et d’amour.
Je vous le recommande…

 

Peinture de Gustaf Fjaestad, peintre Suédois