La ville noire

la ville noireLa Ville Noire
George Sand

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Le camarade Etienne Lavoute, dit Sept-Epées, désole son ami Louis Gaucher.
Louis trouve qu’il pourrait être plus heureux. Excellent ouvrier armurier, libre de toute attache, toujours à l’ouvrage et très demandé, beau garçon, courtisé, jeune avec un avenir prometteur… Etienne ne présente à ses amis qu’un visage empreint de lassitude. Qu’est-ce qui l’accable à ce point ?

Dans la Ville Noire du bas, le fer est battu. C’est un royaume de fer et de feu, rude et noble, dont les armuriers, les couteliers et les serruriers en sont les maîtres ; sis au Trou-de-l’Enfer au carrefour d’un torrent. « Les cris aigres des outils et le sifflement de la fournaise ». Le haut de la ville s’en détache et présente son contraire, celui de la bourgeoisie, des patrons, des gens nantis, des « parvenus ». Opposition de l’un et de l’autre, certains ambitionnent d’en franchir la frontière et d’accéder au « haut », tel Etienne, d’autres au contraire, n’y ont connu que des déceptions et n’ont de désirs que de rester dans le « bas », telle Tonine, la belle-sœur de Louis.

Alors, quelle est cette lourdeur qui pèse sur les épaules d’Etienne ?
A l’âge de douze ans, Etienne est orphelin. Son parrain, père Laguerre, le prend en apprentissage et le forme. Il est un excellent ouvrier et comble de fierté son mentor qui le considère comme son fils. A vingt-quatre ans, il est un jeune homme gâté par la nature, « apprécié de ses pairs », ouvriers et patrons, intelligent, doué, son avenir ne présage que du meilleur. Ambitieux, il se voit propriétaire d’un atelier et comme le dit Louis, il en a les capacités. Alors… « Pourquoi es-tu triste, mon camarade ? »
Ce qui tracasse Etienne, c’est le béguin qu’il éprouve pour Tonine. On peut dire qu’elle le rend fou, elle l’obsède. Pourtant, la demoiselle n’est pas coquette. Elle est même à l’opposé des filles qui tournent autour d’Etienne. Elégante, douce, un cœur généreux, elle est revenue de la ville haute, meurtrie et craintive des gens qui vivent dans le luxe, les prétentions et la superficialité. A dix-huit ans, elle a déjà choisi sa place près du peuple de la ville basse, fière de ses racines.
Etienne a peur de se déclarer officiellement et d’en faire part à son ami Louis. Tonine est une fille sérieuse ! S’il devient son prétendant, il sait que ses projets n’agréeront pas et qu’il devra les oublier. Le dilemme est cruel,  il blesse l’esprit de Tonine qui reste douce malgré l’irrésolution d’Etienne. Elle ne cèdera jamais, elle est du genre entêté, opiniâtre dans ses choix et lui, il en rêve trop de cette usine !

« – Oui, dit Sept-Epées, de plus en plus blessé, voilà ce qu’elle croit ! Elle m’a pris pour un songe-creux et une tête folle.
– Vous vous trompez, répondit Tonine, je ne crois pas cela. Je suis même presque sûre que vous réussirez, parce que…
– Parce que quoi ? dit Gaucher, voyant qu’elle rentrait sa pensée en elle-même.
– Parce qu’il est courageux et très habile, reprit en souriant Tonine, qui avait failli dire : parce qu’il n’aimera jamais personne !… Mais moi, ajouta-t-elle, c’est mon idée de ne pas sortir de mon état. Hélas ! vous savez bien que j’ai sujet de me méfier après ce que j’ai vu si près de moi ! Je ne prétends pas qu’il soit impossible à un enrichi de se bien conduire dans son ménage ; mais je crois une chose c’est qu’il est très difficile à un bourgeois de se contenter toujours d’une fille d’ouvrier. Nous sommes trop simples, nous ne savons pas causer ni porter le chapeau. les dames nous trouvent gauches et se moquent de nous. Moi aussi je suis fière, c’est mon défaut ; je veux épouser mon pareil, et jamais un compagnon qui pense à la ville haute ne sera mon mari. Voilà tout ce que j’avais à dire ; vous voyez Sept-Epées, qu’il n’y a pas de quoi vous offenser. Chacun a son goût et sa volonté, je vous prie de ne pas m’en vouloir et de ne plus songer à moi. »

Dans un lieu près d’une rivière, appelé Creux-Perdu, Etienne imagine sa fabrique. Il est enfin prêt à la forger. Son cœur balançait entre deux raisons, il en choisit une.
La patience, l’indulgence et le dévouement sont aussi des qualités de Tonine…
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George Sand raconte le monde éprouvant des forges, l’ambition d’un homme qui veut s’élever de l’enfer pour être son propre patron, la dignité des gens simples et le travail du fer, façonné avec art et passion. L’époque voit surgir une production manufacturée, on parle déjà d’industrialisation. A ce labeur, se mêle une romance. Etienne est pris par ses aspirations et n’ose écouter son cœur. Sa maturité n’a pas ce degré d’entendement, il place son intelligence dans la création et son ascension. Quant à Tonine, elle ne comprend pas son amoureux. D’ailleurs, elle tait ses sentiments, les dévoilant à peine. Elle est plieuse en papèterie et se plaît dans le monde ouvrier qu’elle respecte. Elle est franche, d’une intelligence supérieure à tous et surtout loyale. Tous les deux se cherchent sans trouver une bonne entente. La jalousie, l’incompréhension, des causes communes mais des objectifs discordants, vont être des sujets de séparation. Mais… ce roman est aussi une belle histoire d’amour… Parfois, il est bon de partir pour mieux se retrouver.
Ce roman fut publié en 1861. Je situe la Ville Noire dans le Massif Central, près de Clermont-Ferrand. George Sand nous présente dans cette histoire de beaux portraits aux traits noircis par la suif, taillés dans le brut et très dignes. Tonine se distingue. La femme a un beau rôle, fort, sage et capital.
J’aime ses mots qui m’offrent de belles images.

Une lecture que je vous recommande.

Des billets chez George,

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thiers
Dessin de Hubert Clerget
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19 réflexions au sujet de « La ville noire »

  1. C’est un très beau billet Syl, tu donnes véritablement envie de le lire ! (je n’ai encore jamais lu George Sand… eh oui 🙄 je ne sais pas lequel serait le mieux pour la découvrir)
    Bonne soirée bises

    • Indiana ou Jean de la Roche ou Mauprat… et il y a tous ses romans sur la paysannerie.
      Regarde chez George, elle les a chroniqués.
      Bonne nuit Laure…

  2. Goerge me donnait déjà envie de découvrir cette auteure, voilà que tu t’y mets aussi, c’est un très beau billet. Je devaris me lancer mais j’ai l’impression (peut être fausse) que ce sont des lectures exigeantes qui me font un peu peur.

    • Oui Emma, tu as tout faux ! Les mots de Sand se lisent facilement. C’est une musique qui nous est proche. Elle n’a pas de style ampoulé. Tu serais surprise ! Choisis une histoire chez George et essaie …

    • Je ne le connaissais pas aussi, jusqu’au jour où une personne m’a dit qu’il était son préféré. Ce n’est pas le cas pour moi, même si j’ai beaucoup aimé cette histoire.

  3. Très beau billet ma Syl. qui rend un bel hommage à ce roman et à Sand. Ce n’est pas non plus mon préféré, mais j’ai une tendresse pour cette petite Tonine !
    Pour tous, lisez Sand, vous serez emportés par ses histoires et ses mots !

    • Merci George ! (ouf !)
      J’ai aimé le lire et c’est dommage qu’il ne soit pas en poche pour le faire partager. Maintenant, je dois faire mon billet sur Pictordu et me programmer un autre titre. Samedi, j’emmène Touloulou à Nohant. J’espère que nous aurons beau temps !
      Bise

  4. Moi non plus, tout comme Laure je ne connais cet auteur. Je n’ai lu que quelques correspondances de George Sand avec Alfred de Musset. Ton billet donne envie de s’y plonger d’autant qu’il y a une histoire d’amour en toile de fond si j’ai tout compris. La ville noire est un titre bien choisi, on peut imaginer bien des choses en effet.
    Bises.

    • « Jean de la Roche », « Indiana » et « Mauprat »… sentiments amoureux exacerbés, comme George Sans sait si bien le raconter. Et il y en a d’autres de titres…
      Bonne soirée
      Biz

    • Bonjour Pierre, Je ne suis jamais allée à Thiers. Je ne fait que le frôler lorsque je suis sur l’autoroute pour descendre dans le midi. C’est certainement une belle ville, avec un riche patrimoine. Un jour, je me baladerai dans ce coin intéressant.

  5. Et bien, j’avais laissé passé ce billet. Si je suis absente dans mon blog pendant quelques temps, je n’ai aucun message pour me faire savoir que j’ai raté des commentaires; c’est un des défauts de blogspot. Oui, effectivement ce roman pourrait me plaire; J’y reconnais bien là les aspirations de George Sand! je prépare le bilan du challenge romantique pour la semaine prochaine!

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