Soie, illustré

Babelio et les EditionsTishina, partenaires avec moi pour ce magnifique livre… Merci, j’ai apprécié…

.
.
.
.
Alessandro Baricco
et les illustrations de Rébecca Dautremer
.
.

Hervé Joncour n’a pas dirigé ses pas vers la carrière militaire que son père lui souhaitait. Par un hasard bienheureux, lors d’une permission, il fait la connaissance d’un propriétaire de filatures, Baldabiou, qui a vu en lui le voyageur qui lui ramènerait des œufs de vers à soie.


Huit ans plus tard, en 1861, Hervé a trente-deux ans, est marié à Hélène et n’a pas d’enfant. A la recherche des minuscules œufs qui font sa fortune, il parcourt de lointaines contrées et revient toujours émerveillé. Il enchante alors son mentor Baldabiou de ses visions exotiques.
Cette année, une épidémie décime les œufs de tous les éleveurs, faisant des ravages bien au-delà des mers. Baldabiou raconte alors, qu’il est une île où le fléau n’a pas encore sévi. Ce pays est bien plus distant que les quelques milliers de kilomètres déjà parcourus. Ce pays est le Japon.

« – Et il est où, exactement, ce Japon ?
Baldabiou leva sa canne de jonc en l’air et la pointa par-delà les toits de Saint-Auguste.
– Par là, toujours tout droit.
Dit-il.
– Jusqu’à la fin du monde. »

Cette île, dans toutes ses complexités, ses terreurs, ses humeurs, est prête à être séduite. Elle n’est plus si hostile au monde étranger et même si elle se montre possessive de son capital, son patrimoine, elle pourrait partager ses larves précieuses.
C’est le début de l’année, Hervé part. Il traverse des villes, des pays, des eaux qui laissent rêveurs… « Wurtemberg, la Bavière, l’Autriche, Budapest, Kiev, le lac Baïkal, le fleuve Amour, la frontière chinoise, Capo Teraya, Ishikawa, Toyama, Niigata, Fukushima, Shirakawa… »
Les yeux bandés, il arrive dans un village où le maître suprême Hara Kei, l’invite à se raconter. Les mots, un peu hésitants au début, s’écoulent comme une eau fluide et charment le seigneur qui n’est pas le seul à l’écouter. Une jeune fille dans son giron, dont le regard n’est pas asiatique, est attentive. L’abandon de son corps est très sensuel, il inspire Hervé qui se questionne sur son mystère. Regards modérés, endigués, mais éloquence très bavarde, Hervé se voit inviter pour un autre séjour. Il repart avec l’amitié de Hara Kei, les inestimables œufs et le souvenir d’un regard troublant.

De retour chez lui, sa femme l’accueille avec beaucoup de joie et d’amour. Elle est Pénélope qui espère le retour d’Ulysse. Douce femme dévouée, un peu austère, silencieuse, en attente de son mari, d’un enfant, elle représente la sérénité, le repos du voyageur, l’âme stable, immuable.
A Baldabiou, il dira que la fin du monde est « invisible ».


1862, le temps du périple est venu. Il doit retourner au village de Hara Kei… Ainsi, sa vie est établie, de départs et de retours. Le chemin est le même, mais à son intérêt d’explorateur s’ajoute une fébrile aspiration. Il n’a pas oublié l’illusion, l’émotion qui l’avait étreint.


Plus qu’une mission, c’est la quête d’un désir. Hervé ne le soupçonne pas, il n’émet même pas le fantasme… il se laisse guider et nous le suivons à travers ses voyages, ce deuxième, un troisième, jusqu’au quatrième, l’ultime pour cette partie du globe car l’équilibre de la nation est éphémère comme les murs d’une maison en papier.


Il est le novice qui s’initie, il est le contemplateur qui suspend des instants de vie et qui amasse les idées, la beauté, il est l’aveugle égoïste qui ne discernera jamais le vrai secret de la passion et de l’amour.
« Revenez, où je mourrai. » défie le « Promets-moi que tu reviendras. »
.
.
Cette histoire est un conte poétique sur l’amour, ses obsessions et ses tentations. D’une beauté mélancolique, nostalgique, épique, elle offre aussi une « douce insensibilité ». Hervé qui aime l’exotisme, partir, respirer l’aventure, oublie dans ses missions,
sa maison et la femme qui l’habite ; il sait qu’elle sera toujours là, aimante, fidèle, petite ombre noire. Il  est envoûté par le Japon… par ses images, sa délicatesse, son expérience, son lyrisme, ses mystères, ses sourires, sa magie, sa cruauté, ses oiseaux, ses rituels… tout un monde qui le trouble et qui chante la volupté.
L’histoire nous révèle une fin qui ne m’a guère surprise, car j’avais découvert où se cachait l’amour… bien à l’abri d’un cocon, invisible, timide
, et riche comme les fils de soie qu’il libère. Cette fin me laissera le souvenir d’une lettre, avec ses mots superbes.

Cette lecture n’aurait pas été la même sans les magnifiques illustrations de Rébecca Dautremer. J’avais depuis longtemps noté ce petit roman d’Alessandro Baricco. Asphodèle avait écrit un billet émouvant. Je voyais des estampes que je mariais à des étendards soyeux et colorés, des kimonos légers comme des pétales, des vues de monts et de lacs… A présent, ce sont les dessins de Rébecca…
Comment vous les décrire ? Comment trouver les mots pour rendre le grain de certains pastels ? Les premières pages sont des esquisses crayonnées, des collages, on en retrouve par la suite… puis apparaît le portrait de Hervé Joncour, aux traits fins presque féminins et d’une austère
sobriété . On ne peut s’empêcher de tourner les pages, de caresser le papier d’un doigt et de pénétrer l’histoire avant sa lecture. Les dessins parlent. De façon discrète, parfois cruelle, intime, légère… ils sont le complément des mots. Les couleurs sont souvent des sépias, des gris et des verts, un rendu mat, crayeux, pourtant si lumineux et intense. Chaque dessin tire une émotion. J’ai été très réceptive aux portraits d’Hélène ainsi qu’aux planches qui racontent une nuit d’apprentissage. Dans ces réalisations, c’est la pudeur qui est soulignée, ainsi que les sentiments d’abandon et de confiance.
A l’heure où j’écris ce billet, je ne sais plus combien de fois j’ai feuilleté ce livre, revenant sur les dessins, cherchant des détails, admirant la finesse, sa soie, et revivant ma lecture. Sans eux, je n’aurais pas eu ce nœud à la gorge qui fait mal.

Pour ce coup de cœur littéraire et artistique, pour la qualité de ce livre-bijou, pour le voyage, pour la lettre, je vous le conseille… plus que tout.

.

Des billets pour le roman illustré chez Didi,
Des billets du roman chez Asphodèle, Minou
, Bianca,

.
.
.
.
.
.

48 réflexions au sujet de « Soie, illustré »

  1. Quel bel article ! Je suis admirative face à la façon dont tu as su raconter cette histoire et face à ces dessins. Ils sont vraiment magnifiques ! J’ai très envie de redécouvrir cette histoire à travers ces oeuvres !

    • A la fin de ton billet tu écris sur l’amour d’Hélène, je suis d’accord avec toi. Je n’ai pas mis tous les dessins qui m’ont émue car je veux que vous les découvriez… mais il y en a un tout simple et sombre qui est poignant. Hélène est couchée, on ne voit pratiquement que sa tête sur l’oreiller, tu sais que c’est la nuit, que le monde est silence et qu’elle se retrouve avec ses pensées. Se yeux sont ouverts et lointains. Petite femme bien sage, tu vois dans son regard aucune naïveté. Elle sait, elle doit avoir peur.
      Un très beau livre Minou…

  2. Eh bien quel billet ! Ce livre t’a inspiré et les illustrations sont superbes, je me l’imaginais comme ça Hervé ! En revanche je voyais sa femme plus blonde et il y a une scène que j’ai peur de découvrir tant elle est précise dans ma tête ! Tu m’as donné envie !!!! 🙂

    • Bonjour Eilu,
      Tu le préfèreras à l’herbier de Marie-Antoinette…
      Mais je songe ! ce livre rentre directement dans ton challenge des « Beaux livres » !!!
      Tu veux un petit conseil ? Offre-toi ce livre sans l’ouvrir. Ne le découvre pas dans la librairie. Puis, dans l’intimité de ton chez toi, pars entre les pages, les mots et les dessins. Ce livre fait éclore les sentiments.
      Je t’embrasse.

  3. Quel magnifique billet Syl ! Comme tu le sais déjà, j’ai vraiment aimé ce roman, pour moi il est plein de poésie et de délicatesse et ton billet lui rend hommage, tu as été très inspirée en l’écrivant. Les illustrations sont très belles en effet, un beau livre à offrir ou à s’offrir

  4. Magnifique! J’ai adoré ma lecture de « Soie » il y a quelques années. J’aime beaucoup le travail de Rebecca Dautremer et les illustrations que tu partages sont un vrai plaisir pour les yeux. Je vais tenter de me le procurer!

    • Ils sont deux pour cette maison nouvelle. Ce livre est le premier de cette association. Ils disent aimer les livres et ils veulent privilégier la qualité à la quantité. J’attends le deuxième de leur publication avec impatience…

    • Je ne l’avais jamais vu avant de le recevoir, mais tu imagines ma stupéfaction lorsque je l’ai découvert en ouvrant l’enveloppe !!! Je te jure que j’ai sauté sur place comme un cabri !

    • Pourquoi Manu ? C’est cette douce platitude nuancées de voyages ? En fait, l’histoire est plus intense.
      Bon… on se retrouvera sur d’autres ! Bise
      N’oublie pas de nous communiquer la date pour le cinquième tome d’Enola. Je l’ai lu mais je ne suis pas pressée de faire mon billet ! alors je serais OK même pour l’année prochaine !!!

  5. Baricco est un auteur que j’adore. En refermant ses romans, je ne suis pas toujours sûre d’avoir tout saisi mais la langue est tellement belle et tellement poétique. Et Rebecca Dautremer est sans nul doute une illustratrice géniale. As-tu lu « cette histoire-là » de Baricco ?

    • Et moi je ne le connaissais pas ! « Ses romans » ? Je n’ai pas eu le temps de me documenter sur ses textes. Je note alors « Cette histoire-là » et j’ai des livres illustrés par Dautremer qui m’attendent.
      A bientôt…

  6. Très belle critique!
    Je l’ai réservé à la médiathèque et j’ai hâte de me plonger dedans.
    Normalement, je dois aussi aller au vernissage des originaux de Rebecca Dautremer.

    • Tu vas voir les dessins de Dautremer ! C’est une expo qui me plairait ! Je ne sais pas si elle utilise l’aquarelle ou les pastels… tu me diras ?
      Et prends des photos si tu peux !

      • J’ai pu l’emprunter aujourd’hui. Mais comme j’ai pas mal de choses à lire, je ne sais pas si je pourrais me lancer tout de suite.
        J’essaierai de prendre des photos le 13 décembre au soir.
        A priori je crois qu’elle utilise l’aquarelle…Mais je te confirmerai cela.

    • Houuuu !!! MTG, ta part féminine appréciera. J’ai fait lire à Mister B. la « lettre » (passage du livre) et il a trouvé cela très poétique et très bien écrit.

  7. Olallalalalalala je le veux je vais le demander au père Noël !
    Je suis fan de Rebecca Dautremer et je voulais lire Soie depuis bien longtemps ! Je ne lis pas toute ta chronique car je veux avoir le plaisir de la découverte !
    Très beau partenariat !
    D’ailleurs à ce propos j’officie un peu sur Babélio désormais !
    Bisous Syl ici la neige arrive et a déjà déposé une couverture sur les hauteurs !

    • Tu fais bien de lire ce billet en diagonale. C’est un beau cadeau.
      Bienvenue sur Babelio !!!
      J’espère qu’il ne va pas trop neiger dans ta région dans le courant du mois… Je vais la traverser pour les vacances et je ne voudrais pas être bloquée.
      Bonne journée Didi

  8. Ben, j’étais sûre de t’avoir laissé un commentaire pour ce livre… Alors ou j’ai oublié ou il a disparu dans les vestiges du net :0) Donc je voulais dire que ce livre illustré me tente beaucoup depuis que je l’ai découvert sur les blogs… Il a l’air vraiment magnifique, une idée pour un très beau cadeau de Noël !!

    • Hier, lors de notre partie de scrabble, j’ai raconté l’histoire. J’ai empêché Do de jouer jusqu’au moment où elle m’a dit « Stop ! tais-toi… » !!! En y repensant, j’ai envie de rire (bonne stratégie) ! Bisou et à bientôt j’espère.

Répondre à Syl. Annuler la réponse.