La chorale des dames de Chilbury


Challenge « Une année in England » de Titine
Un livre offert par Babelio et les Éditions Albin Michel

 

 

La chorale des dames de Chilbury
Jennifer Ryan

 

Mars 1940, des maris et des fils sont partis à la guerre depuis six mois, et d’autres s’apprêtent à le faire. L’Angleterre s’engage avec la France à ne pas signer d’armistice et Churchill, qui n’est pas encore Premier ministre, essaie de galvaniser le gouvernement et le peuple britannique ; la « guerre totale » ne fait que commencer.

Dans le petit village de Chilbury, dans le Kent, tout le monde se réunit pour l’enterrement du fils et héritier du général Winthrop. Edmund Winthrop, jeune homme de vingt ans, mort dans un sous-marin en mer du Nord, avait le tempérament violent de son père, alors les bonnes âmes qui se sont rassemblées autour de son cercueil n’ont que peu de peine et pensent plus à ce que le pasteur leur a annoncé : Les hommes n’étant plus, la chorale de la paroisse est dissoute.


Dans son journal intime, Mrs. Tilling raconte la chorale, la guerre, son fils David qui part en France, son emploi d’infirmière qui va beaucoup l’occuper, et passe en revue certains habitants de Chilbury, dont la pauvre Mrs Winthrop qui pleure son fils, entourée de ses deux filles, Venetia, Kitty, et de son mari le général, toujours aussi rigide, insensible et rageur.
Nous apprenons à les connaître un peu plus avec les lettres de Miss Edwina Paltry, la sage-femme de Chibury, qu’elle adresse à sa sœur, les lettres de Venetia à sa meilleure amie qui a quitté le village pour Londres et les écrits dans leurs journaux intimes de Kitty et Silvie. A chacune son ton, des confidences sur leurs situations, leurs amours, leurs attentes, leurs visions de la guerre, des commérages avec les petits secrets honteux des uns et des autres et les problèmes de la chorale. Elles ne peuvent vivre que l’instant présent, sans trop oser se projeter vers l’avenir. Et lorsque Miss Primrose Trent arrive pour enseigner la musique à l’université de Litchfield, c’est comme si Mary Poppins venait pour tout régler… Une Mary Poppins fantasque et pleine d’entrain qui se désole de voir qu’il n’y a plus de chorale : « Ah, mais c’est très dommage, enfin ! Dissoudre une chorale ! Dans un instant pareil ! »… Une chorale insufflerait de la joie et unirait les femmes dans…

un instant pareil.

Le 15 avril, une note affichée à la mairie annonce que la chorale reprend du service sous la direction de Miss Trent et toutes répondent présentes. Même Mrs. B., pompeuse et condescendante, qui reste scandalisée de voir que le pasteur a cédé trop facilement à tant d’enthousiasme ! L’épicière Mrs. Gibbs, Hattie la jeune institutrice qui va bientôt accoucher, l’organiste Mrs. Quail, des dames du SVF, le Service Volontaire Féminin, Mrs. Tilling, Miss Paltry, Venetia, Silvie et Kitty. Toutes là, à chanter et à faire vibrer la voute de l’église dans un même élan.

Avec des personnalités si complexes et affirmées, et des priorités différentes, il y a beaucoup à dire !
Mrs. Tilling est une veuve que tout le monde apprécie, honnête et bienveillante, à la fois forte et fragile, qui se partage entre le dispensaire de la paroisse et l’hôpital. Son fils David vient de partir, la laissant seule et angoissée. Pour loger le personnel militaire, une chambre de sa maison a été réquisitionnée et elle loue une petite chambre au colonel Mallard, le nouveau responsable du centre de Litchfield. Dans son journal, elle narre leur cohabitation qui débute bien froidement. Elle le trouve glaçant, il la trouve petite souris grise.
Miss Paltry est la sage-femme du village, une femme aigrie et de peu de foi. Dans la correspondance qu’elle entretient avec sa sœur, pour qui elle a une grande affection, elle parle d’un pacte qu’elle a passé avec le général Winthrop, qui pourrait leur assurer un meilleur avenir et une revanche sur leur passé.
Venetia Winthrop est une jeune fille de dix-neuf ans. Elle profite de sa beauté en jouant les séductrices auprès de la gente masculine et charme tous ses amis d’enfance. Égocentrique, elle narre surtout à son amie Angela les efforts qu’elle fait pour capter l’attention de Mr. Alastair Slater qui semble insensible à ses appâts. Plus qu’un simple badinage venant d’une gamine effrontée, c’est le jeu d’une tigresse qui a fait le pari de le conquérir. Artiste peintre, poète et philosophe, venu en villégiature à Chilbury, Mr. Slater est un homme étrange qu’on pourrait considérer de lâche et peut-être même de malhonnête. Alors que tous les jeunes gens se montrent patriotes en partant combattre les Allemands, lui se contente d’arpenter la campagne et de jouir des mondanités. Mais comme Venetia le précise à plusieurs reprises, Mr. Slater est un être obscur, à multiples facettes.
Kitty est la benjamine de la fratrie Winthrop, une fille franche, un peu frondeuse, qui se voudrait être un esprit libre. Assez mûre pour son âge, elle aime dire à tout le monde qu’elle a déjà quatorze ans, alors qu’elle n’en a que treize. Amoureuse depuis longtemps d’Henry, un ami de sa sœur, elle s’imagine que ses sentiments sont partagés et se voit déjà mariée à lui. Rêveuse et romanesque, Kitty désire aussi devenir chanteuse. Dans son journal, elle découpe ses écrits par chapitres. La guerre, son horrible sœur Venetia, la chorale, sa famille et Chilbury. Intelligente, elle a assez de pertinence et d’intuition pour définir la nature humaine. Elle donne aux gens des couleurs qui vont des tons les plus doux aux tons les plus sombres avec des nuances ; « noir comme la suie, et noir comme un ciel sans étoiles ».
Silvie est une petite réfugiée de dix ans, d’origine juive, qui a fui son pays, la Tchécoslovaquie. Confiée aux bons soins de la famille Winthrop, elle est dans un premier temps, une enfant craintive et très malheureuse qui doit apprendre une nouvelle langue et faire confiance à des étrangers. C’est Kitty qui lui a conseillé de tenir un journal dans lequel elle pourrait s’épancher et libérer un peu du chagrin qui l’étreint. Moins bavarde que sa nouvelle amie, peu assurée, elle va petit à petit s’épanouir, rapporter son quotidien et parler de la guerre. Si elle sait déjà qu’elle ne reverra plus ses parents internés dans un camp, elle garde l’espoir de retrouver son petit frère.

De la première page à la dernière, nous passons sept mois à Chilbury. Tout est rationné, la nourriture, les vêtements, l’électricité. Les femmes se dévouent et souffrent des pertes qu’elles subissent. Et puis fin juillet, suivant les aspirations d’Hitler qui se voit envahir le Royaume-Uni, ce sont les opérations aériennes ennemies qui détruisent une partie de Chilbury… A compter de ce jour, pour certaines personnes, la solidarité ne sera plus un vain mot. C’est le moment de donner, de faire confiance et de pardonner.
« Ouvrez votre cœur et chantez ! » disait Prim…

C’est sur les souvenirs que lui racontait sa grand-mère, que l’auteur a travaillé. Elle a gardé sa jovialité et sa force pour décrire le plus dur de son histoire. Ce roman, un bel hommage, n’est donc pas un livre triste car il est fait de toutes les espérances, les convictions et le dynamisme des femmes de cette époque qui ont soutenu comme elles le pouvaient, leurs héros. Livre de plusieurs voix, beaucoup de sujets sont abordés qui rendent l’histoire passionnante et le fil conducteur de la chorale donne une belle vivacité. Romantique, intrigante, mâtinée d’humour anglais, tragique, j’espère que vous apprécierez cette lecture que je vous recommande.

 


Photo prise « ici »

 

 

Hamlet au paradis – Subtil changement, tome 2

Logo_Babelio

Un livre offert dans le cadre des Masses Critiques de Babelio

.

.

Hamlet au paradisHamlet au paradis
Le Cercle de Farthing, Subtil changement – Tome 2
Jo Walton

.

Nous sommes dans le Londres de 1949, huit ans après la fin de la guerre. L’Angleterre a négocié avec Hitler leur paix, laissant au dictateur le reste de l’Europe ; un monde fascisant, conservateur, anticommuniste, antisémite et homophobe.
Viola Lark, comédienne talentueuse promise à un bel avenir, partage le récit de ce roman policier et uchronique avec l’inspecteur Carmichael de Scotland Yard…

Viola Lark a commis un acte qui mérite la pendaison, mais elle sait que tout lui sera pardonné si elle rentre dans « le rang ». Fille renégate d’une famille patricienne, belle-sœur de Himmler, elle va devoir courber l’échine pour survivre. Elle entame le récit comme une confession et raconte comment tout a commencé.
Un metteur en scène de renom lui propose un rôle qu’elle ne peut refuser. Dans une adaptation avant-gardiste, Hamlet est une femme ! Viola veut ce personnage et n’hésite pas à sacrifier sa belle chevelure pour le rôle. Alors que l’excitation exacerbe une partie de la troupe, on apprend qu’une des actrices, Lauria Gilmore, vient de mourir dans un attentat à la bombe.

L’enquête sur l’attentat est menée par l’inspecteur Peter Anthony Carmichael de Scotland Yard. Acte terroriste de la part des communistes ou des Juifs ? Carmichael doute du fait et oriente son investigation dans le cercle intime de l’actrice. Rapidement, il découvre une personnalité complexe et des motivations qui ont pour but de changer la politique du pays.
Un groupe d’hommes démocrates souhaite accorder à Churchill le pouvoir de réformer le gouvernement et de briser le pacte de Farthing.

Par l’intermédiaire de son oncle lord Scott, Viola est approchée par ces hommes de l’ombre qui préméditent une action de grande envergure. Quant à l’inspecteur Carmichael, il débute son enquête sous la pression de sa hiérarchie qui, sans subtilité, veut l’impliquer dans de nouvelles réformes et la création d’une police secrète qui prendrait exemple sur la Gestapo d’Hitler.
Contraints à suivre des voies qu’ils ne souhaitent pas prendre et poussés vers les extrêmes, tous deux ont conscience d’être des funambules qui avancent sur une corde raide.

Le metteur en scène de « Hamlet, princesse du Danemark » ne le sait pas encore… mais sa pièce va connaître un certain retentissement…
.

On retrouve dans ce deuxième tome de la trilogie, un montage similaire au premier. Une histoire racontée par deux personnes, deux visions, une tonalité très britannique, une sphère conservatrice, aristocratique, et la montée du fascisme en Angleterre. L’auteur nous fait la surprise de convier Hitler dans son livre et nous le faire rencontrer… Mais si « Le Cercle de Farthing » nous présentait un scénario sis dans un huis-clos, « Hamlet au paradis » nous fait circuler dans différents univers. Les ambiances de la ville (théâtre, cafés, hôtels, dédales des rues…) et les ambiances extérieures (campagne, manoir, gares…) apportent au livre un réel intérêt.
Livre uchronique, livre d’espionnage, l’intrigue policière n’est pas le véritable moteur, ce que je regrette un peu car j’aurais aimé plus de suspense dans la trame.
Cette suite est aussi intéressante pour certaines révélations faites sur le caractère  de l’inspecteur Carmichael. On apprend qu’il est homosexuel et qu’il vit avec un ami. Son personnage prend de l’ampleur et si parfois on peut faire la moue, agacé à lire tant de candeur de sa part, on peut espérer que dans le troisième opus sa personnalité se révèlera plus frondeuse, car il est temps qu’il comprenne certaines choses…
Pour Viola, ce n’est que vers la fin du roman que j’ai ressenti de l’intérêt pour le personnage, lorsqu’elle réalise ce que fait Hitler. Auparavant, son histoire familiale, ses sentiments pour Devlin, sa passion pour le théâtre, n’ont pas su me captiver et me la rendre sympathique.
Pour conclure, je souhaite donner un avis assez favorable car j’ai lu ce livre avec plaisir, toujours curieuse des pages à tourner. J’ai aimé le côté froid et angoissant des romans d’espionnage et cette fin qui annonce des actes de résistance.
J’espère ne pas être déçue par le tome à venir…
A suivre !
.

D’autres billets chez AcrO, Dionysos,

.

Hamlet

.

.

.