Décembre nordique avec Cryssilda
Une lecture commune avec Nahe
et un billet chez Dasola
La facture
Jonas Karlsson
A l’heure des surtaxes imposées par le gouvernement et du mouvement des Gilets Jaunes, cette lecture ne pouvait pas tomber mieux !
Le narrateur est un trentenaire qui travaille à mi-temps dans un vidéo-club. Célibataire, un peu étriqué dans sa vie, aussi bien professionnelle qu’intime, on ne peut pas dire qu’il soit dévoré par l’ambition, ni les problèmes d’ego. Sa dernière initiative au sein de sa toute petite entreprise est d’avoir acheté un ensemble sceau-balais pour nettoyer le magasin en lui donnant un lustre un peu plus éclatant…
Mais un jour, son quotidien se trouve bousculé lorsqu’il découvre dans son courrier une lettre d’un centre de recouvrement qui lui réclame la somme astronomique de 5 700 000 couronnes. Croyant d’abord à une arnaque ou à une erreur administrative ou… à un problème d’homonymie, il la met de côté sans s’en préoccuper davantage, jusqu’à une lettre de rappel majorée d’une taxe de retard. Les questions commençant à tourner dans sa tête, il se décide à appeler le centre pour avoir des explications. Et là, c’est digne de Kafka ! Il est un numéro, un matricule.
– Il faut payer ! – Oui, mais payer quoi ? – Pour tout, Monsieur ! – Mais, tout quoi ??? – Comment ! vous n’êtes pas au courant ? Vous n’écoutez pas la radio ? Vous ne regardez pas la télé ? Vous êtes imposable sur la beauté, l’air que vous respirez, les rêves, l’amour, votre enfance… le bonheur, quoi !!!
C’est par Maud, son interlocutrice attitrée, qu’il apprend la dernière lubie du gouvernement qui vient de déléguer à une société privée de prélever ce nouvel impôt.
Comme on ne peut pas taxer le futur, ils se basent donc sur le passé. Le jeune homme se replonge sur son enfance, dans une famille modeste mais aimante, et se remémore l’époque heureuse de son premier et dernier amour avec Sunita. Ce temps là était béni des dieux ! mais le bonheur a un coût… paraît-il.
Tous les jours, Maud l’informe et recalcule son endettement qui ne cesse d’augmenter. Tous les jours et presque toutes les nuits. Il la sollicite et elle est toujours présente au bout du fil, à lui répondre avec douceur et gentillesse. Il réfléchit, il se confie pour qu’elle déduise de la facture ses jours d’angoisse, ses jours de pleurs, mais il lui parle aussi des jeux de société quand il était petit et de sa passion pour le cinéma. Elle lui rétorque alors que tout est à classer dans le bonheur, même ses plus grandes peines car elles sont dues à ses plus belles émotions.
– Et si je ne paie pas ? – Voyons… vous devez payer ! – Et si je pars, si je m’enfuis, si je ne paie pas ?
L’engrenage est lancé et le narrateur raconte… C’est invraisemblable, surréaliste et pourtant c’est très réel. Il faut payer sinon…
La caisse enregistreuse additionne les petits et les grands plaisirs. A combien peut-on chiffrer le bonheur ? surtout s’il se cache partout.
L’histoire, un conte de notre temps, dénonce avec déraison et cocasseries les surtaxes imposées par l’état suédois et l’illogisme des processus administratifs. Le héros a la faculté de se contenter de ce qu’il a et de trouver son bonheur dans des petits riens. D’après un tableau où tout est évalué, sa folle dette ne fait que s’amplifier.
Une lecture facile à lire, grinçante, très actuelle, qui fait bien réfléchir sur notre futur.