Christmas pudding


Des lectures de Noël
Littérature anglaise avec Titine

 

 

Christmas pudding
Nancy Mitford

1930, Londres et le Gloucestershire,

En cette fin de décembre, pour les fêtes, la campagne du Gloucestershire va être le théâtre de nombreuses farces satiriques qui se joueront entre deux imposantes demeures, celles de Lady Bobbyn et de Madame Amabelle Fortescue.
Pour nous aider à situer les seize personnages principaux, Nancy Mitford nous dresse leurs portraits dès les premières pages qui décrivent avec finesse et piquant une société bourgeoise nantie d’un snobisme déconcertant et d’une ringardise déprimante. Deux, voire même trois générations vont se confronter ; les aînés qui sont bien imprégnés des heures glorieuses du passé et qui s’enlisent dans les conventions de leur milieu et les jeunes qui sont avides de plus de liberté, de bêtises, d’anticonformisme et de modernité.

Paul Fotheringay, ancien disciple d’Eton, a décidé de devenir écrivain. Son premier roman voudrait être une tragédie qui raconte les déconvenues romanesques d’un jeune homme, mais, à son grand désespoir, les critiques littéraires et les premiers lecteurs en ont fait le livre le plus divertissant de l’année, saluant la drôlerie de ses écrits en pensant à tort qu’ils sont une bouffonnerie des jeux amoureux. Incompris, déshonoré, Paul aurait aimé être réconforté par la demoiselle qu’il courtise, Marcella, seulement la jeune bécasse, superficielle et égocentrique, n’est d’aucun soutien. C’est donc vers une amie et confidente, Amabelle Fortescue, qu’il épanche sa peine. Cette femme intelligente, pétillante et très estimée, lui conseille de rebondir sur ce semi échec et d’écrire un nouveau livre. Alors, après réflexions et avec un certain entrain, Paul jette son dévolu sur une poétesse du siècle dernier, Lady Maria Bobbin.
Afin d’être au plus juste dans ses écrits, il fait des démarches auprès de ses descendants installés dans le Gloucestershire, pour avoir le droit de consulter son journal intime, mais sa demande reste vaine car la Lady Bobbin actuelle voit en Paul un auteur comique qui ne servirait pas le souvenir de l’ancêtre… Toujours bien aiguillé par Amabelle qui connaît la famille Bobbin, Paul décide de taire sa réelle identité et de se présenter à Lady Bobbin en tant que précepteur pour son fils Bobby, un jeune homme de dix-sept ans qui suit ses études à Eton et qui, durant les vacances de Noël, a grandement besoin d’une remise à niveau.

Ainsi commence le roman. D’une part, nous avons la maison de Lady Bobbin et d’autre part à quelques distances, nous avons la maison qu’Amabelle loue pour les fêtes. De l’une à l’autre, nous participons à l’arrivée des invités venus passer Noël et à un chassé-croisé de leurs visites, ainsi qu’à un chassé-croisé des sentiments.
Il serait bien trop long de vous expliquer qui est qui, qui fait quoi, mais sachez que le lecteur n’éprouve aucun ennui à lire l’ennui des personnages qui se donnent de l’importance jusqu’au ridicule. C’est riche et théâtral, ironique, ça brille de quiproquos, de goujateries, de bêtises et de suffisance. Lady Bobbin est une terrienne qui gère son patrimoine et sa famille à la baguette. En invitant la famille elle accomplit son devoir de chef, mais il ne faut point y mettre de plaisir.

Fille de cette aristocratie trop élitiste, hédoniste, chancelante et gâtée, Nancy Mitford raconte si bien ce qu’elle a vécu ! Sans indulgence, elle peint au vitriol le portrait de son époque et dénonce la condition de la femme dans cette société. Une femme se devait de faire un bon mariage et en oublier l’amour.
Je vous conseille grandement ce livre, à lire juste avant Noël pour le vivre pleinement. La demeure de Lady Bobbin est pleine de houx, on joue et on boit du champagne. Son Noël réunit le faste païen et la rigueur religieuse.

A recommander !

D’autres billets chez Belette,

Tableau peint par Joseph Kleitsch en 1928

 

 

La reine des lectrices

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La reine des lectrices
Alan Bennett

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Imaginez, une petite femme proche des quatre-vingt ans, dans un tailleur en tweed maronnasse (le bleu, le rose et le jaune sont pour les sorties), les chaussures plates, les cheveux amidonnés… elle se précipite derrière ses petits trésors, des toutous qui s’en vont en jappant et bavant dans les couloirs qui mènent vers les cuisines du palais. Cette délégation, très peu ordinaire, débouche dans la rue et sur le bibliobus de la commune de Westminster. Elle, c’est Elizabeth II d’Angleterre and Co.

Sa Majesté fait alors la connaissance du chauffeur-bibliothécaire, Mr Hutchings, et d’un commis de cuisine, Norman Seakins. Par courtoisie et pour ne pas paraître dédaigneuse, elle parcourt du regard les rayonnages ambulants et saisit un livre…
… La semaine suivante, pour fuir une de ses obligations de souveraine, elle prend le prétexte de le rapporter et retrouve le jeune Norman et Mr Hutchings.
« – Comment l’avez-vous trouvé, Madame ? demanda Mr Hutchings.
– Le livre de dame Ivy ? Un peu sec. Et tous les personnages s’expriment de la même façon, l’aviez-vous remarqué ?
– A dire la vérité, Madame, je n’ai jamais pu dépasser les premières pages. Jusqu’où Votre Majesté est-elle allée ?
– Oh, jusqu’au bout. Une fois que je commence un livre, je le termine. C’est ainsi qu’on était élevé jadis : qu’il s’agisse des livres, des tartines beurrées ou de la purée de pommes de terre, il fallait toujours finir ce qu’il y avait dans son assiette. Ma philosophie n’a jamais varié sur ce point. »
Une petite discussion s’engage sur certains auteurs de sa connaissance. Elle repart quelques instants après avec un second roman.

Ainsi s’amorce la nouvelle lubie de la reine. Proust, les sœurs Brontë, Nancy Mitford… romans, poèmes, essais, art… Elle lit, elle note des passages, des résumés, ses ressentis, elle commence à faire des LAL (listes à lire), envoie son nouveau clerc Norman, nouvellement débauché des cuisines pour l’assister dans sa découverte littéraire, chercher les bouquins… Elle traîne partout un livre, deux livres… un qu’elle lit, l’autre qu’elle offre… Elle devient livrophage et s’empresse de faire partager ce plaisir.
« – Vous avez entendu parler du site d’Ur, je suppose ?
Ce n’était apparemment pas le cas. Aussi, avant qu’il ne reparte, la reine lui passa deux ou trois livres qui devaient lui permettre de combler cette lacune. La semaine suivante, elle lui demanda s’il les avait lus (ce qu’il s’était bien gardé de faire).
– Ils étaient très instructifs, Madame, répondit le Premier ministre.
– Dans ce cas, je vais vous en passer d’autres. Je trouve ce sujet fascinant. (…)
Sir Kevin finit par recevoir un coup de fil du conseiller particulier.
– Mon patron m’informe que votre patronne commence à lui casser les pieds, attaqua celui-ci.
– Vraiment ?
– Oui, elle n’arrête pas de lui prêter des livres. C’est parfaitement déplacé.
– Sa Majesté adore la lecture.
– Personnellement, j’adore me faire sucer la b..e. Mais je ne demande pas au Premier ministre de me rendre ce service. Vous avez une idée, Kevin ?
– Je parlerai à sa Majesté.
– Excellente initiative, Kevin. Et dites-lui de nous lâcher la grappe. »

La reine étonne son monde, puis très vite énerve. Elle dérange le protocole et agace les gens qui l’entourent, de son valet de pied, en passant par son secrétaire particulier Sir Kevin, le Premier ministre, son duc de mari, jusqu’à ses chiens qui jalousent avec rage le dernier passe temps de leur maîtresse.
« – (…) La reine lit. Les gens n’ont pas besoin d’en savoir plus. J’imagine leur réaction, dans leur grande majorité : « Et alors ? La belle affaire. »
– Lire, c’est se retirer, dit sir Kevin. Se rendre indisponible. La chose serait peut-être moins préoccupante si cette recherche relevait d’une démarche moins… égoïste.
– Egoïste ?
– Peut-être aurais-je dû parler de solipsisme.
– Peut-être auriez-vous dû, en effet.
Sir Kevin se jeta à l’eau.
– Si nous étions en mesure de raccrocher vos lectures à un projet plus vaste – l’instruction de la nation tout entière, par exemple, ou la promotion de la lecture au sein de la jeunesse…
– On lit pour son plaisir, dit la reine. Il ne s’agit pas d’un devoir public. »

Cette escapade entre des pages est plus qu’un divertissement, c’est une survie. La reine lit et s’évade. Serait-ce une trahison envers la couronne ?
La panique désorganise les services, des directives sont prises et vont à l’encontre des désirs de la reine. Les livres deviennent une menace ! Que va-t-il se passer ?

I wish you good readings your Majesty !
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Un petit livre très agréable à lire. Un humour fin, désopilant, grinçant, une histoire folle sur un ton très british. Le cérémonial et la bienséance sont perturbés par une femme qui a décidé de lire, de s’accorder ce délice dans les dernières années de sa vie. C’est une fiction, mais j’imagine très bien cette femme contrainte toute sa vie à l’étiquette guindée, fuir sa condition dans la poésie et la romance. Encore empesée et circonspecte, elle arrive à paraître plus accessible et sympathique. Lui offrir un thé ? Oui, avec grand plaisir. Lui faire la bise ? Non, pas encore. Voyons, c’est la reine !!!
J’ai retenu deux jolis mots : Opsimath et tabellion. Je vous laisse le plaisir d’aller chercher les définitions.
Alors ? Oui, je vous le conseille… 122 pages rapidement lues avec le sourire.


Images prises sur google

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